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Quand interpréter devient un handicap pour la personne sourde

Publié le 18 octobre 2010 par Politicoblogue
SRIEQ

SRIEQ

Le mardi 21 septembre dernier, j’ai eu l’opportunité de m’adresser à la Commission de la culture et de l’éducation à Québec dans les consultations du projet de loi 103 réformant la Charte de langue française. En tant qu’usager sourd, j’ai recouru aux services de l’organisme régional fournissant de l’interprétation en Langue des signes québécoise, le Service régional d’interprétation de l’Est du Québec (SRIEQ). En substance, je tiens à élaborer les commentaires sur la qualité des services reçus.

Avant de poursuivre plus loin, il est important de revenir sur l’à-propos de mon intervention à la commission. Depuis quelques années, la communauté sourde tente d’obtenir une reconnaissance de la langue des signes dans un contexte d’éducation. Par la même occasion, au cours de la conférence, j’ai fait une mise en parallèle entre la situation du français au Québec et le cas de la communauté sourde. Ultimement, le principe d’un droit d’éducation en Langue des signes québécoise devrait être contenu dans la Charte de langue française, ce que d’autres intervenants du milieu avaient déjà exposé à la Commission Larose en 2001.

Dans le contexte de la couverture des services, deux interprètes m’ont été assignés. En principe, ils étaient engagés à partir de 19h00 et assuraient l’interprétation de mon allocution prévue à 19h30. Une telle intervention exige un degré de préparation et des habiletés particulières, notamment quant à la qualité de la langue et des propos relayés. Je leur ai envoyé le mémoire que j’avais soumis à la commission ainsi que certaines notes préparatoires de mon exposé. Comme ces données furent textuelles et distinctes de la langue employée à la conférence, la Langue des signes québécoise, nous pouvons saisir jusqu’à un certain point la complexité du travail de préparation.

Sur ces entrefaites, je rencontrai un premier interprète un peu plus d’une heure avant l’heure de convocation. Consciencieusement, l’interprète a examiné les points clés de mon discours et s’est mis en accord avec moi sur l’usage de certains signes techniques précis pour désigner tel ou tel terme écrit. Le deuxième interprète devant arriver plus tard, il est finalement venu encore plus tard, toutefois avant l’heure prévue de convocation à la commission. Il n’eut point l’occasion de se préparer adéquatement dans le cadre des travaux requis.

En temps normal, comme la préséance veut qu’un interprète de même sexe soit jugé plus approprié pour accompagner la prise de parole d’une personne sourde, il fut convenu d’un mutuel accord entre les interprètes que ce serait le deuxième interprète qui assurerait la transmission de mes propos pendant que le premier m’interprèterait en signes les propos transmis par les parlementaires. Je savais dès lors que le défi de mon intervention serait encore plus ardu. Je gardai cependant mon calme.

Selon un tour d’horizon, mon intervention fut périlleuse quant à la transmission de l’interprétation de mes signes. J’eus souvent à répéter les mêmes mots ou tournures de phrases – par trois ou quatre fois lorsque la situation s’appliquait – tout au long de mon allocution. Par exemple, nous pouvons lire dans la transcription disponible sur le site de l’Assemblée Nationale le passage suivant :

« C’est pour ça que je fais le parallèle entre le français puis la langue des signes, là, ici, c’est comme si on sentait que la langue des signes est un luxe. D’abord, le service d’interprétariat, c’est un luxe mais en fait il faudrait que les rapports de force soient changés. La communauté anglophone doit être conscientisée pour accepter la ligne sociale, il faut qu’ils acceptent de vivre dans le respect ici, au Québec. Il faut qu’ils apprennent à respecter la langue française. Si, on… comment on dirait ça, là… donc, elle est dominante, la langue anglaise est dominante… non, un anglophone, il se voit comme dominant. Les anglophones voient la langue française comme étant la langue dominante, il faudrait que… On dit que si les anglophones pouvaient voir que… je m’excuse, on va recommencer au début de la phrase. »

Si nous consultons la version vidéo de mon allocution et l’intention d’origine de mon exposé, ce que je signe bref, se dit à peu près de la manière suivante :

« Ce qui s’applique à la langue des signes, s’applique également au français. Les services, le français, ce n’est pas un luxe. La langue de la société québécoise, c’est le français. C’est une tendance, un rapport de force qu’il [nous] faut changer. La communauté anglophone doit être consciente en même temps, accepter, [être consciente que] s’intégrer au sein de la société québécoise, bien ça passe par le respect de la langue française, nous ne disons pas que depuis, qu’il n’y a pas eu de respect de la part des anglophones, disons plutôt qu’il y a encore des choses à apprendre sur le respect de la langue française. [Les anglophones] doivent arrêter de se voir comme s’ils étaient dominants. »

L’interprétation ne peut être parfaite, mais il n’en reste pas moins qu’elle a constitué un réel boulet. Cependant, quand nous multiplions les difficultés et les bourdes, imaginons ce qu’il peut être question quand il y a confusion entre le groupe Anglo Society oeuvrant au Nouveau-Brunswick contre la coexistence de la nation acadienne au sein de la communauté locale, et la communauté anglophone en entier. Quand l’interprète est encore plus nerveux et incertain que le conférencier sourd ne l’a jamais été, alors imaginons comment parler du 11 septembre, de Terry Jones comme métaphore et de la loi 101 peut devenir un handicap. La censure n’est pas une option et il nous faut remédier à la situation pour pouvoir compter sur un bassin d’interprètes suffisamment chevronnés.

Dans l’ensemble, l’intervention fut transmise maladroitement, l’autre interprète dut parfois voler au secours de son partenaire de travail, quatre ou cinq erreurs cruciales eurent lieu durant l’exposé selon mon évaluation de la transcription écrite du discours diffusée sur le site Internet de l’Assemblée Nationale, et ces mêmes erreurs « diplomatiques » modifièrent la trajectoire de la perception donnée à mon discours sur un plan vocal. Ces erreurs ne rendirent point justice à la qualité de mon intervention et de la transmission de mes signes qui étaient pourtant assez clairs selon bon nombre d’intervenants rencontrés par la suite.

Dans le cadre de son travail, l’interprète doit assurer une certaine adaptation de son ton selon le propos de la personne sourde. Or, dans le cas en présence, nous parlons d’une personne sourde au ton assuré, d’un interprète accablé par la tâche et qui offre une parole hésitante et erratique. Nous pouvons parler d’une certaine désorientation de l’interprète face au discours lui-même, les points à exposer et la maladresse dans les propos transmis par ce dernier.

Comptant plusieurs années d’expérience dans le milieu communautaire sourd et à travers mon vécu de personne sourde, je suis à même de mieux comprendre la problématique de l’interprétation en langue des signes. Entre 2005 et 2009, j’ai été partie prenante du conseil d’administration du Service d’interprétation visuelle et tactile (SIVET) qui dessert la région du grand Montréal. Je pris, en outre, la vice-présidence du conseil durant l’année administrative 2008-09.

Devant l’opportunité que présente la scolarisation accrue des étudiants sourds et des occasions telles qu’une audition à l’Assemblée Nationale, les habiletés, les talents et les ressources des interprètes en langue de signes sont de plus en plus sollicitées. Devant un manque de formation et d’encadrement du perfectionnement des interprètes qui sont laissés à eux-mêmes, nous pouvons assister à une disparité dans la couverture des services. Ce n’est pas rendre justice à la personne sourde et par ricochet à l’interprète que de laisser traîner une situation actuellement insatisfaisante.

Tout d’abord, l’administration du service d’interprétation exige une évaluation adéquate de l’interprète, de ses capacités à livrer la marchandise et de lui donner des affectations qui mettent ses qualités en valeur. Dans ce cas précis, un interprète encore plus habile dans la transmission de la parole sourde aurait pu faire la différence.

À la lumière des travaux qui s’effectuent en ce moment dans le processus vers la reconnaissance de la Langue des signes québécoise, des travaux sont également réalisés afin de s’adresser aux besoins particuliers du dossier de l’interprétation visuelle et tactile sur un plan national. Nous espérons de ce fait, en tant que Sourds Québécois, franchir un nouveau sentier dans la nécessaire reconnaissance de nos besoins et la garantie de services de qualité.

Vidéo de l’exposé  à la Commission : http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/AudioVideo-32267.html

Transcription écrite de l’exposé : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cce-39-1/journal-debats/CCE-100921.html#19h30

Vous pouvez également consulter le mémoire déposé par Élie Presseault à la commission sur le site de l’Assemblée Nationale.

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