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Entre les murs

Publié le 06 novembre 2010 par Luxyukiiste

Entre les murs

Je vais vous faire une confidence : je n’aime pas trop les espaces exigus. Quand je vois des spéléologues à la télévision, ou des visites de souterrains minuscules, je ne me sens pas très très bien. Et à vrai dire, j’ai assez peur d’être enterré vivant. Un double-épisode des Experts avait déjà joué sur cette peur : Jusqu’au dernier souffle, double-final de la saison 5 réalisé par Tarantino enfermait un des personnages dans un cercueil de plexiglas filmé par une webcam. En 2005, la même année, le japonais Shinya Tsukamoto sortait le moyen-métrage Haze, dans lequel un homme se réveille dans un espace hyper exigu. Et cette semaine, Buried de l’espagnol Rodrigo Cortés réussit l’exploit de placer l’action dans un cercueil pendant une heure et demie. Alors, éprouvant ou pas le claustro-cinéma ? Verdict avec les cas Haze et Buried.

Pour les profanes, Shinya Tsukamoto est le réalisateur du fameux Tetsuo, film radical d’une heure dans lequel un homme se transforme peu à peu en machine. Noir et blanc, violence, image pourrie, bande-son indus : c’est le film cyberpunk culte des amateurs de japonaiseries déviantes. Comme j’en fais partie, j’étais curieux de découvrir le reste de sa filmo et j’ai été immédiatement intrigué par Haze et son idée claustrophobe. A l’origine, Haze durait 25 minutes mais une version longue de 49 minutes est sortie ensuite, qui est disponible en DVD. Le pitch est simple : un homme se réveille coincé entre deux murs noirs, il ne se souvient de rien et souffre d’une blessure au ventre. Tentant de se sortir de ce labyrinthe, il va rencontrer une femme perdue ici, comme lui. Et le spectateur va se payer une bonne dose de frissons et d’angoisse.

Entre les murs

En effet, en bon sadique, Tsukamoto n’épargne rien à son personnage, ni au spectateur : blessures, pièges, barbelés, douleur… Ce n’est pas gore du tout, au contraire, c’est savamment distillé pour vous donner de gros frissons dans le corps. Et pour ajouter au stress, il privilégie les gros plans qui suppriment les repères géographiques et accentuent l’étouffement. La bande-son industrielle et anxiogène est toujours là, rare mais efficace elle tue ce qui pouvait rester d’humanité dans cet enfer. Les bruitages sont d’ailleurs du même acabit… Quand aux deux acteurs, ils sont convaincants et transmettent plutôt bien l’effroi que l’on ressentirait dans une telle situation : heureusement d’ailleurs, l’homme n’étant autre que Tsukamoto lui-même.

Et pourquoi tout ce bordel ? Les personnages ont-ils raison ? Sont-ils les cobayes d’une expérience menée par un riche pervers ? La guerre a t’elle débutée ? Sont-ils membres d’une secte apocalyptique ? Ou alors, la solution est-elle à chercher du côté de la métaphore du labyrinthe intérieur, où se perdent nos peurs et nos espoirs ? En tous cas, dans son domaine, Haze réussit tout, angoisser, faire mal, et prouver que Tsukamoto aime encore tenter et expérimenter. Son successeur conceptuel, Buried, prend les choses différemment : la claustrophobie angoisse moins que le suspens et le message est clair et revendicatif. Mais c’est également une grande réussite.

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Et pourtant, ce n’était pas gagné : tenir 1H30 dans un cercueil en bois, qui aurait cru ça possible ? Certainement pas grand monde, à part l’espagnol Rodrigo Cortés, dont les premiers essais ont reçu moult prix même si je ne les connaissais pas. Dans Buried, Paul Conroy (Ryan Reynolds) se réveille enfermé dans un vieux cercueil de bois, avec un briquet et un téléphone portable. Le convoi de camions dont il faisait partie en tant qu’employé de la CRT a été attaqué par des insurgés irakiens qui ont liquidé ses collègues. Pourquoi est-il toujours en vie ? C’est toute la question, à laquelle répondront divers appels téléphoniques et d’autres astuces de scénario.
Pour les sceptiques qui me lisent, sachez que je l’étais moi-même au départ, puis à force de voir de bons avis, je me suis laissé tenter. Et effectivement, on ne s’ennuie pas une seconde – mais pour préserver l’expérience, je vous conseille de ne pas regarder de longue bande-annonce. Elle vous gâchera certaines idées et surprises, ce qui est bien dommage pour un film à suspens !

Au fur et à mesure que le temps passe, Paul prend conscience de la triste réalité : visiblement, tout le monde s’en fout de lui. Entre ceux qui ne répondent pas, les boîtes vocales, les questions ubuesques, il se heurte à l’inhumanité de la bureaucratie et de la technologie moderne. Buried critique largement l’amérique et la guerre en Irak : encore un coup de maître, d’arriver à placer un sous-texte dans un film à l’horizon si étroit. Réduits à une simple présence vocale, les interlocuteurs de Conroy sont un espoir irréel, quand ils ne tombent pas dans la simple indifférence. Sa rage suit celle du public, qui se prend petit à petit au jeu et réagit aux meilleurs passages. D’ailleurs, chapeau bas à l’acteur Ryan Reynolds, qui joue ce rôle difficile à la perfection, hésitant entre rage, pleurs, calme, soupirs, sans jamais en faire trop – s’il ne l’était pas déjà, ce tournage l’aura sûrement transformé en claustrophobe.

Entre les murs

Le seul reproche à faire à Buried concerne deux ou trois scènes un peu trop relevées par la musique et la shakycam, peut-être la manière qu’a le réalisateur de garder avec lui les spectateurs un peu distraits. Reste que même si j’attendais une expérience plus étouffante, le suspens et le message m’ont largement captivés. Et chapeau pour avoir tenu le pari jusqu’au bout, sans tricherie, flashback ou autres subterfuges, jusqu’à une fin qui vous marquera sûrement quelques jours après votre séance. Notez que Buried a remporté le prix du public ainsi qu’un Méliès d’Argent au festival européen du film fantastique de Strasbourg : et ça, c’est quand même un peu la classe.

Et à part ça ? Rien, juste une image.


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