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Marathon Lynch 04 : Sailor & Lula

Publié le 12 novembre 2010 par Vance @Great_Wenceslas

Logo Lynch CaméraReplongeons-nous avec délices dans le Marathon organisé avec Cachou, Cecile et Yuko. Parce que je l’avais visionné récemment, j’ai décidé de faire l’impasse sur Blue Velvet, film partiellement abouti qui porte en lui les germes de la série Twin Peaks. De même, je n’ai pas regardé Lost Highway pour les mêmes raisons. Mais rien ne vous empêche (il est même chaudement recommandé de le faire) d’aller lire ce qu’en pensent les consœurs et participantes du Marathon susmentionné.

Lost Highway, par Cachou ;

Blue Velvet, par Cachou ;

Blue Velvet par Cecile (en deux parties) ;

Blue Velvet par Yuko.

On le voit, le Marathon a pris ses aises et a ralenti ses productions, mais c’est pour mieux se ressourcer : les participants réorganisent leur emploi du temps et effectuent les choix qui les arrangent. Certains ne rédigent pas de chroniques, d’autres en font des rapides quand d’autres encore écrivent un article exhaustif. Au final, on parvient à avoir un aperçu très dense du cinéma de David Lynch. 

Film n°4 : Sailor & Lula

DVD zone 2, BAC Films (2005)

2:35 – 16/9

VOST DD 5.1 ; 127 min

SAILOR-LULA.png
C’est la seconde fois que je visionne ce film.

La première fois remonte à une époque où j’abordais le cinéma avec insouciance. Une invitation, une occasion de voir le film qui a remporté la Palme d’or : c’était en 1990. Avec des amis. Les souvenirs que j’en conservais étaient flous : des personnages atypiques, caricaturaux, dérangeants dans leur manière d’aborder les situations, énigmatiques par leurs gimmicks et sous-entendus ; une couleur, le rouge, dont une des actrices se couvrait le visage dans une séquence malsaine ; une route, la nuit ; des chansons d’Elvis Presley ; une veste en peau de serpent rappelant celle d’un autre film ; et un finale ridicule avec un Nicolas Cage au nez explosé en train de chanter son amour pour sa belle. C’était ce qui ressortait principalement de ma mémoire chaque fois que je l’interrogeais au sujet de Wild at heart.

L’histoire est, à la base, assez simple et relativement facile à suivre :

à sa sortie de prison, Sailor, ancien homme de main d’un mafieux local, décide de partir avec Lula, sa petite amie, et ce, contre l’avis de la mère de celle-ci qui voue à son futur gendre une haine féroce, au point qu’elle va engager des tueurs pour l’éliminer.

Récemment, la lecture du livre de Michel Chion sur Lynch (je vous invite à lire la chronique que j’en ai faite) m’avait intrigué et encouragé à réexplorer l’imaginaire restitué par le réalisateur dans ce film hors-normes. L’occasion se présenta pour le Marathon susdit.

Et le résultat est troublant. Curieux comme on se fait des idées qui en engendrent d’autres supplantant les premières – un peu comme les souvenirs d’enfance, toujours magnifiés. Par exemple, j’étais persuadé que Sailor passait son temps à chanter Elvis. Or, ce n’est absolument pas le cas. En revanche, il insiste lourdement – et comiquement, avec ce ton décalé cher à Lynch – sur la raison d’être de sa veste en peau de serpent déjà visible dans Snake Eyes. Et surtout j’avais complètement oublié les constants parallèles avec le Magicien d’Oz (Sailor l’avoue lui-même, et les plans au ras du bitume, annonçant ceux, plus sournois et mystérieux, de Lost Highway, mettent en évidence la ligne jaune, quoique discontinue, de leur yellow brick road à eux). Un road-movie fantasmagorique, donc, où Lynch réutilise les codes au sens strict avant de les exploser en alourdissant le trait, volontairement, pour y insuffler un romantisme exacerbé doublé d’une sensualité troublante, animale. Wild at heart. Ainsi sont-ils.

 

sailor---lula-02.jpg

Du road-movie, pourtant, là aussi on n’en retient pas grand-chose. Nos deux amoureux ont bien l’intention de gagner la Côte ouest, mais Sailor tient à passer par la Nouvelle-Orléans, terre de magie et hautement symbolique, où l’attend son destin. L’asphalte défile et son long ruban monotone traverse des paysages presque hors du temps, très bien mis en valeur par la photo. Un passage nocturne, alors que le couple sillonne des étendues désolées, rappelle curieusement une séquence de Carnival of souls : Lula, regardant par la vitre, semble apercevoir le visage menaçant de sa mère, telle une vision spectrale. On notera aussi l’écho régulier de ce plan fixe sur une maisonnette perdue dans le désert qui renvoie à ceux qui scandent la série Twin Peaks, et qu’on retrouve dans son générique (le croisement de deux routes, le feu tricolore en pleine nuit…) : cette maison est le repère de personnages qui ont tous un lien avec Sailor. Et on sourira devant le nombre d’acteurs récupérés du casting de la série TV, dont l’éternel Jack Nance, la troublante Grace Zabriskie et la délicieuse Sherilyn Fenn.

Dans leur chevauchée fantastique, nos amoureux (qui s’adonnent avec une passion torride à leurs ébats dès qu’ils le peuvent, soulignant la sensualité exacerbée de Lula qui passe son temps à prendre des poses aguicheuses propres à enflammer sa libido tout en revendiquant une certaine innocence dans ses propos : son passé la hante, tout comme il hante celui de Sailor auquel il est lié par le craquement d’une allumette). Le feu, élément destructeur et purificateur, stigmatise leur passion déraisonnée, leur fougue irresponsable et souligne l’omniprésence du rouge : leur amour les consume littéralement, et l’enfer est sur leurs talons. Les êtres énigmatiques qu’ils croiseront ne semblent du coup n’être que des coquilles vides, animées de leurs propres fantasmes, vides comme leurs regards torves et leurs propos insignifiants. Mais ils doivent se méfier de ceux qui sont en chasse : primaires, dotés d’une soif atavique (de sang ou de sexe, à l’image de Bobby Peru (Willem Dafoe , hypnotique et déjanté, cruellement stupide), ils sont dangereux pour peu qu’on fasse trop confiance. Or Sailor et Lula ne semblent pas disposer des armes leur permettant de survivre dans un monde aussi cynique et pervers…

Sailor-et-Lula_03.jpg

Bien qu’emballant, le film ne m’a pas enthousiasmé outre-mesure, mais j’y ai pris plaisir à recenser les parti-pris esthétiques et symboliques du réalisateur qui a sans doute pris un malin plaisir à flinguer les genres tout en délivrant un film assez personnel, dissimulant ma son hermétisme à travers un déroulement plutôt linéaire ponctué par des flashbacks de plus en plus explicites. Le film peine à me séduire parce que je n’y trouve pas mon compte d’étrangeté, j’ai la sensation qu’elle est délayée, pervertie ou artificiellement induite. Pourtant, je lui reconnais une puissance intrinsèque phénoménale, comme une énergie qui le dépasse, le transcende, comme si le scénario était le vecteur de quelque chose de plus grand. Et puis aussi, dans sa façon particulière d’archétyper ses personnages, j’ai du mal à en trouver un seul de sympathique dans ce film : ils sont, au mieux, pathétiques. Diane Ladd, à elle seule, manifeste tout ce qui est détestable chez un être humain : cette femme acariâtre et amère, qui s’estime bafouée, va user de ce qui lui reste de charme pour lancer une vendetta insensée.

L’image du DVD choisi était plutôt agréable, le son enveloppant quoique un peu faible.

A présent, j’hésite encore à me replonger dans Mulholland Drive, que j’adore, à moins que je me réserve pour Inland Empire que je vénère.

A lire aussi :

Sailor & Lula, chez Cachou.


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