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« Mission de sauvetage » de Frederick Busch, chez Gallimard (critique)

Par Sumba

Avant la chute

Frederick Busch occupe une place particulière dans le paysage littéraire américain. Bien loin des pros de la provoque, des experts du trash et du fait divers monté en épingle qui décorent les rayons des librairies, il se tient dans un coin que seuls les curieux peuvent atteindre. Si bien que peu songeraient à le faire figurer parmi les écrivains contemporains majeurs. Pourtant, la parution chez Gallimard du recueil de nouvelles intitulé « Missions de sauvetage », après la disparition de son auteur en 2006, vient prouver que sa plume compte, et que les chemins transversaux qu’elle emprunte ne sont pas les moins séduisants.

« Mission de sauvetage » de Frederick Busch, chez Gallimard (critique)

A la seule lecture du titre, notre horizon d’attente a vite fait de se remplir d’exploits héroïques, de personnages philanthropes et de bons sentiments. Raté. Si ce n’est pas exactement le contraire que nous dépeignent les nouvelles de Frédérick Busch, le désespoir dans lequel baignent les différents personnages empêche le déploiement de l’artillerie espérée par les uns, et crainte par les autres. Au terme de la galerie de rescapés de drames personnels ou historiques qui se construit au fur et à mesure des quinze nouvelles, se profile le portrait d’une Amérique malade avec New York comme centre infectieux.

Aussi les protagonistes fuient-ils tous la cité gangrenée pour tenter de recoller les morceaux de leur histoire brisée, et pour aller à la recherche d’un cœur encore humain, quelque part, n’importe où. Mais les meilleures volontés n’y peuvent rien : de Jill, femme battue de « La mission du Bon secours » à Alex qui dans « Le sens de l’orientation » découvre le mystère qui plane autour de sa naissance, tous finissent par retomber dans leur mal-être initial. Mais avant la rechute, il y a eu de petites lueurs d’espoir, des gestes de partage autour desquels se cristallisent la plupart des récits du recueil et qui les rend si bizarrement déchirants…

Un verre partagé, une chemise d’homme prêtée à la femme aimée, un surnom donné à une personne chère : ces petits actes, récurrents chez les personnages de Frederick Busch, n’ont d’anodin que les apparences. La mémoire de chacun s’organise autour d’eux, ainsi que la narration qui par conséquent est tout sauf linéaire. Passé et présent s’entremêlent au point de rendre imperceptible toute frontière entre les deux. Les narrateurs ne sont d’ailleurs pas plus faciles à identifier que les souvenirs qu’ils évoquent. Passant insensiblement de la première à la troisième personne, l’auteur opacifie les contours de ceux à qui il donne la parole, si bien que les courts récits prennent tantôt les allures de monologues intérieurs d’individus désaxés, tantôt celles de récits de traditionnels tenus par un narrateur omniscient un brin joueur.

Mais peu importe au fond qui se cache derrière ces textes fragmentés : cette question s’efface devant l’étrangeté d’un deuil omniprésent dans chaque nouvelle. Que ce soit la mort d’un proche ou la fin d’une belle histoire, chaque personnage pleure quelque chose, tout en prenant garde à bien étouffer ses sanglots. Une sorte de pudeur à dire la douleur se dégage en effet de l’écriture singulière de Frédéric Busch, et participe sans doute beaucoup à l’étrange fascination qu’elle provoque. C’est que l’on ne sait jamais vraiment quelle douleur elle masque. L’univers de Busch a l’air d’avoir subi une terrible apocalypse, qui a fait des individus des électrons libres, tellement libres qu’ils n’arrivent plus à se rencontrer. Pourtant, restent les petits gestes d’amour, visibles à condition d’ « accepter qu’une autre magie soit possible ».

Frederick Busch, Missions de sauvetage, Gallimard, 377 p., 24

Article publié dans « Témoignage chrétien » le 18/11/10


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