Magazine Journal intime

L’arrivée à Paname : Europe N°1

Par Ruminances

Posté par clomani le 23 novembre 2010

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Je m'étais présentée un jour à Europe N°1, tard le soir. Une petite annonce disait qu'on y cherchait une secrétaire. Alors que je prétextait l'heure tardive (19h), mon petit copain étudiant m'avait expulsée de la 2 CV en disant : “allez, vas-y“. Je n'y croyais pas. “Europe N°1, faut pas rêver” pensais-je. Pourtant, mon adolescence peu lointaine avait été bercée par Salut les Copains, les matinées avec Maurice Biraud, et d'autres émissions de cette station de radio. J'entrai à la réception où on me fit patienter.

Au moment où, lasse d'attendre, je venais de quitter les lieux, l'hôtesse m'avait rattrapée dans la rue. “Madame, la chef du personnel va vous recevoir”… A ma montre : 19h30 ! Perdue derrière son grand bureau, une petite dame à lunettes m'avait expliqué qu'il s'agissait de travailler pour le Directeur Général, Maurice Siégel, mais qu'il voulait absolument juger sur photo en plus du Curriculum Vitae. - “à cette heure-là, c'est difficile” dis-je (il était 8h -10) - “sisisisi, allez vite au Prisu des Champs, c'est à 200 mètres, il y a un photomaton au sous-sol, ils ferment à 8h… après, revenez et demandez à venir dans mon bureau, vous poserez vos photos à côté de la pile de dossiers, là” répondit la chef du personnel en montrant une bonne centaine de dossiers.

Vite fait, bien fait, je revins avec les 4 photos et les déposai sur le bureau déserté par son occupante. Puis je retournai à mon hôtel borgne où j'avais une petite chambre à 10 F la nuit. En fin de semaine, un message téléphonique m'attendait à mon retour des différents rendez-vous “boulot”. “Merci de passer à Europe N°1 chez Mme H. au plus vite“. Ce que je fis le lendemain. Pour apprendre que M. Siégel avait sélectionné deux candidates dont moi. L'assistante du directeur me présenta l'autre candidate. Mon double : grande, blonde, lunettes. On nous demandait de se partager la semaine. Pressée d'avoir du travail, je me proposai pour commencer la semaine d'essai puisque j'étais libre. L'autre blonde à lunettes ferait le jeudi, vendredi et samedi. C'est ainsi que je fis mes premiers pas à la radio. Trois jours à l'essai dans le bureau jouxtant celui du “big boss”, occupé par l'assistante, Christiane B. (épouse d'un ex député paraplégique) et un drôle de type brun et bedonnant au regard scrutateur et à l'air “alléché”. “Dudu” était le chauffeur de la Mercedes du patron. Il me fit peur dès la première heure.

On me présenta à Maurice Siégel. Curieux accent gouailleur de titi parisien. Surréaliste pour moi, provinciale formée à la raideur suisse-allemande, ensuite au travail “à la cool” mais efficace chez Du Pont de Nemours. A Paris, à la radio classée N° 1, le patron n'avait aucun style… pourtant, il fréquentait les arcanes du pouvoir, les stars se bousculaient dans son bureau, et Sylvain Floirat était le visiteur le plus fidèle puisque la radio lui appartenait. Ses bureaux étaient déjà chez Matra, vers l'Arc de Triomphe, et la rue François 1er était très proche. Siégel passait son temps à biper sur son téléphone : “appelez-moi M. X”, “passez-moi Mme Y“. Aidée du carnet d'adresses (très mondain dont je n'avais que faire), j'appelais les personnes demandées et les passais ensuite au “chef”.

Le lendemain, second jour d'essai, l'assistante vint me transmettre la réflexion du patron. “Maurice Siégel se demande pourquoi vous lui passez les secrétaires. Il ne faut pas qu'il leur parle. Faites en sorte de vous mettre d'accord avec la secrétaire de l'interlocuteur pour passer ensemble afin qu'ils puissent se parler directement sans être obligé de passer par la secrétaire“. Je m'aperçus soudain que j'étais dans un monde de dupes et de snobs où on avait guère de respect pour la “valetaille”, le petit personnel de bureau. Déjà chez les Suisse-Allemands, ça m'avait “chatouillée” mais ce qui m'humilia, c'était que Siégel n'avait même pas eu le courage de m'expliquer ce qu'il attendait de moi, qu'il passait par “l'habituelle”, celle qui le connaissait bien. J'avais rarement l'honneur d'aller dans le magnifique bureau derrière la double porte. Tout y était feutré, moquetté marron même sur les murs, lumières modernes, télévision, platine stéréo, baffles, placard, réfrigérateur, canapés confortables… En face, de l'autre côté du couloir : un coin-cuisine, une douche et des w.c. privés.

Le courrier m'était dicté par l'assistante, sous le contrôle malsain du chauffeur qui n'arrêtait pas de poser des questions insidieuses et me tutoyait. “T'es belle… t'as un mec ?“, etc. Ces trois jours d'essai m'avaient passablement déçue. Le dirlo était insupportable avec ses caprices de star, son chauffeur aussi avec ses réflexions au ras de la moquette et son humour de beauf. Je fus contente de m'arrêter pour passer le relai à l'autre blonde à lunettes. Après ça, la décision du Directeur Général se fit attendre. Il n'avait pas élu sa candidate préférée. Je me retrouvais sans argent, loin de ma province, dans une chambre d'hôtel miteuse porte de Saint-Cloud… toutefois, j'avais deux autres postes en vue dont un chez Du Pont-Paris. Un jour, je reçus deux télégrammes, le premier de la chef du personnel me convoquant à 14h, l'autre de la secrétaire de Siégel me demandant d'appeler tôt le matin ! Quelle coordination ! Voilà qui donnait une idée du fonctionnement d'une radio en pointe de l'époque. La façon de travailler “à la française” était tout sauf sérieuse. Du grand n'importe quoi.

Je téléphonai à la secrétaire de direction, laquelle me transféra à la chef du personnel, qui medit “il y a deux autres postes à pourvoir chez nous, un à la direction de la Rédaction, l'autre au service des Auditeurs“. Je m'empressai alors de dire “je préfèrerais travailler à la rédaction que pour M. Siégel”. “Mais vous n'y pensez pas, ça n'est pas vous qui déciderez, mais M. Siégel lui-même”. A partir de là, j'appelai tous les jours la petite dame qui finit par m'informer qu'en attendant la décision de M. Siégel, j'irais travailler à la Direction de l'Information de la station. Le lendemain, je fus présentée aux trois Rédacteurs en Chef : Georges Altschuller, Georges Leroy et Jacques Paoli. J'étais aux anges car j'avais détesté travaillé pour le D.G. titi parisien mal éduqué.

Ce que j'ignorais, c'est que je remplaçais une secrétaire virée au bout d'un mois, laquelle remplaçait une autre virée après deux mois. L'auto décrété chef du triumvirat avait pris le pouvoir et ne s'arrangeait pas du tout avec les candidates qu'on lui trouvait. Il était très exigeant. Paoli et Altschuller vivaient leurs vies de journalistes, Leroy dirigeait en même temps qu'il gérait son émission de débat en public, le soir à partir de 19h, au cours de laquelle les auditeurs pouvaient poser des questions. Il fallait être très réactive, savoir filtrer les appels (entre les emmerdeurs et les autres), répondre au courrier des auditeurs, savoir se tenir avec les politiques aussi bien qu'avec les sportifs ou autres célébrités, garder ses distances et être efficace. Je finis par “faire mon trou” à ce poste car, 5 ans plus tard, j'étais toujours là. Bien sûr, au début, les mauvaises langues disaient que je couchais avec mon patron. Parce qu'une secrétaire qui dure et tient le coup avec de tels horaires, à laquelle on donne de la promotion, ça n'est pas parce qu'elle est compétente, mais parce qu'elle couche… Siégel ne fit jamais le choix entre les deux candidates. L'autre blonde continua chez lui 6 mois, puis alla au service des auditeurs. Elle fut remplacée par un assistant venu de la régie publicitaire de la radio.


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