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Corinne Lepage: OGM et clause de sauvegarde

Publié le 14 janvier 2008 par Willy
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Après la très sage décision prise par le président Sarkozy d’appliquer la clause de sauvegarde après l’avis rendu par le comité de préfiguration de la haute autorité, décision  qui intervient  après celle de  l'Autriche, de  l'Allemagne, de la Hongrie et quelques autres, la passion aurait dû retomber. Force est  de constater qu'il n'en est rien, au contraire. Qu’entendons nous ? Des arguments d ‘autorité , un pseudo-débat autour d’un adjectif , voire  une escalade verbale qui s’assimile à une guerre de religieuse de la part  des pro-OGM . Comment expliquer cette situation ?
Tout d'abord, parce que malheureusement le débat médiatique se focalise sur les extrêmes, José Bové d'un côté, Bernard Accoyer ou le président de l'association des producteurs de maïs de l'autre, renvoyant  à un  faux débat totalement manichéen, destiné à créer un nuage de fumée dans lequel le citoyen ne peut que renvoyer les protagonistes dos à dos, sans que sa compréhension du sujet n’ait moindrement progressé.. C'est exactement ce qui s'était passé avec le nucléaire à la fin des années 70 dans l’instrumentalisation de l’opposition frontale entre le Greenpeace de l'époque et le président Syrota. Le résultat a été sans appel : pas de débat et l’opacité totale du système nucléaire civil.

Ensuite par ce que les partisans des OGM ont cru  qu’ils parviendraient à gruger l'opinion publique en admettant un report des semis durant l’hiver pour mieux pouvoir planter au printemps, après avoir obtenu en toute urgence une loi qui leur convenait, sans que les sujets de fond puissent être abordés. Or, grâce au Grenelle et à la volonté de Jean Louis Borloo et Nathalie Kosciusko Morizet, le comité de préfiguration s’est mis en place et a travaillé, à partir des études existantes. Le contenu scientifique de l’avis, qu’aucun scientifique n’a remis en cause, et il aurait eu du mal, après l’avoir approuvé et compte tenu de son caractère objectif, est accablant . L’avis énonce  les faits nouveaux s apparus depuis 1998 :
× Caractérisation de la dissémination à longue de distance ;
× Identification de résistance chez certains ravageurs cibles secondaires ;
× Eléments nouveaux sur les effets sur la faune et la flore non-cible
× Mais a contrario, la réduction de la production de mycotoxines


- Il souligne l’insuffisance des études et des connaissances concernant
× La Caractérisation moléculaires et biochimique
× La Méthodologie des études toxicologiques et écotoxicologique
× Le Dispositif de surveillance épidémiologique
× Le Dispositif de surveillance biologique
× L’Analyse économique au niveau des exploitations et des filières et prise en charge des externalités

Les éléments de portée sanitaire soulevés par le comité s’appliquent également aux éléments de transformation autorisés à l’importation dans l’Union Européenne. A plus long terme, il sera aussi important de prendre en compte les impacts écologiques des produits autorisés à l’importation.
Ceux qui, depuis des années luttent pour que les études sanitaires ne soient pas faites,  et lorsqu’il en existe , qu’elles soient couvertes par le secret industriel et donc soustraites à la controverse scientifique, pour que la biovigilance ne soit pas mise en place , pour que des études économiques contradictoires évaluent l’intérêt des OGM, ont été mis à nus. D’où leur fureur et la levée de bouclier contre l’emploi de la locution « doute sérieux » , employée à juste titre  avec courage par le Président Legrand, faux débat s’il en est qui a permis d’occulter le contenu scientifique de l’avis.
  Ainsi en réalité, au moment où , enfin, le vrai débat scientifique sur l’impact des OGM sur l’environnement et la santé humaine, mais aussi sur leur intérêt économique et sociétal va enfin pouvoir s’ouvrir, le camp pro-OGM fait tout pour l’empêcher. . En réalité, force est de constater que durant des années, la technostructure chargée de mettre en place des OGM a qualifié tout ceux qui posaient des questions d’obscurantistes et à essayer de faire croire qu'il n'y avait aucun risque avéré et qu'il n'y avait que des avantages au développement des OGM. À partir du moment où objectivement il est démontré qu'il y a beaucoup d'incertitudes et  une très grande ignorance, ignorance organisée par ceux là même qui souhaitent promouvoir les OGM de manière précisément à créer l’irréversibilité et à éviter que ne soit mis en lumière des  éléments qui pourraient être défavorables au développement de leur activité, tout est mis en œuvre pour contrecarrer le progrès des connaissance et de la recherche.

En cela, le Président Legrand a eu totalement raison de rappeler le précédent de l’amiante , car le comportement du monde économico-industriel de l’agro-semence est identique à celui des professionnels de l’amiante qui ont lutté pendant près d’un siècle avec succès puisqu’ils ont pu continuer leur activité au prix de 350 à 500000 morts rien qu’en Europe). A savoir nier un quelconque risque, puis nier une quelconque preuve, puis nier un quelconque lien de causalité. Et dire que la doxa aujourd’hui consiste à dire que tout le monde savait… !

Mais si ce comportement n’est que la continuité de celui du XX ème siècle, comment  comprendre que la FNSEA, qui se trouve représenter une profession aujourd’hui victime humaine et économique des pesticides, défende cette orientation en refusant de savoir les conséquences auxquelles elle s’expose ? On peut comprendre qu’une part très importante du monde rural, même si ce n’est pas celle qui est la mieux représentée, soit opposée à ce choix.

Et surtout, comment comprendre la position du président de l’Assemblée nationale et probablement d’une majorité de l’UMP ? En parlant de religion, mais le scientisme qu’il exprime en est assurément  une, alors qu’il s ‘agit d’asseoir le débat scientifique sur une base contradictoire, et de tirer les conséquences de l’incertitude liée aux progrès de la connaissance M.Accoyer prend un immense risque. Un manque de réserve tout d’abord, mais celui encore plus grand de déconsidérer par avance le travail du législateur sur le projet de loi OGM. En exprimant un point de vue aussi sectaire et passionnel, il retire par avance à l’assemblée nationale la légitimité qu’elle tient de la représentation du peuple dans son ensemble , pour la réduire à l’expression de l’intérêt de la seule agro-chimie, pressée d’éviter que les conséquences d’activités dont le seul assureur aujourd’hui est le contribuable soient objectivement et scientifiquement établies avant de s’étendre.
Comme l’écrivait Hannah Arendt, il y a 50ans « il n’y a pas de raison de douter que nous soyons capables à présent de détruire toute vie organique sur terre. La seule question est de savoir si nous souhaitons employer en ce sens nos connaissances. C’est une question politique primordiale que l’on ne peut guère abandonner aux professionnels de la science ni de la politique « . On ne peut que se réjouir que le choix politique pour une fois coïncide avec le choix démocratique et que la volonté constamment réaffirmée par les consommateurs ces citoyens français de ne pas être des cobayes et des payeurs potentiels pour des OGM dont ils ne veulent pas ait été entendue. Rappelons que c'est à la suite de la décision prise par Alain Juppé en février 1997 de suspendre la mise en culture des OGM en France que l'Europe s'était dirigée vers un moratoire de fait  l'année suivante, après il est vrai que le gouvernement de Lionel Jospin soit revenu sur cette décision et ait autorisée la mise en culture des OGM qui jusqu'à présent resté les seuls autorisés en France.
A l’heure où une immense majorité de français et d’européens continuent à manifester leur refus des OGM, où certains Etats dont l’Allemagne ont demandé que la législation soit revue pour intégrer cette opposition, où les Etats Unis sont entrés dans un profond changement, on ne peut que se réjouir de ce que la France ait enfin décidé de se donner le temps et les moyens du choix.

Tribune France-Culture du lundi 14 janvier



Par http://corinnelepage.hautetfort.com/


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