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Jean-Claude Derey : Les anges cannibales

Par Gangoueus @lareus
Je pensais avoir fait le tour de la question sur l'enfant-soldat. Du moins, de ce qui en est dit sous l'angle du roman.  Avec Ahmadou Kourouma et son Allah n'est pas obligé, avec Emmanuel Dongala et son Johnny Chien Méchant ou encore avec Uzodinma Iweala et ses Bêtes sans patrie, Léonora Miano et les aubes écarlates... C'était sans compter sur ce roman publié par Jean Claude Derey en 2004, dont la lecture m'a été proposée par Cécile. C'est aussi cela la blogosphère, ce type d'échanges inattendus et enrichissants.
Ce roman a mis un peu de temps à prendre son envol. La première phase de ce texte m'a fait un peu penser sur certains sujets à Johnny Chien Méchant. Les parents de Yondo sont sommairement exécutés par les troupes du Général Mosquito qui vient d'investir Freetown. Le père était un journaliste engagé, qui après avoir loué la rebellion de Mosquito, s'était lancé dans une série d'articles pour dénoncer les exactions de ce rebelle. C'est en personne que le chef militaire est venu dessouder cet adversaire usant de la plume. Son épouse est violée et tuée. Yondo survit à cet épisode de façon "miraculeuse", l'arme du major devant l'éliminer s'étant enrayée... Son petit frère et sa grande soeur sont embarqués par les miliciens...
Ce sont les pas de Yondo que le lecteur suit. Il s'accroche tant bien que mal à ce qu'il peut dans cette ville où les voisins que vous avez entretenu deviennent des charognards de la pire espèce, où l'aide des ONG s'avère être une mascarade sans nom.
Jean-Claude Derey : Les anges cannibalesMais la plume de Jean Claude Derey devient pour moi innovante dès qu'il commence à décrire l'embrigadement par les troupes de Mosquito. Peut-on dire que Yondo plonge au coeur des ténèbres à partir de ce moment? Quand on a vu ses parents être exécutés, son frère et sa soeur enlevés, on pourrait en douter, mais ce ne furent que les prémices d'une lente descente aux enfers. Dans ce monde où les rebelles s'emploient à deshumaniser des enfants soldats pour les transformer en des hordes cannibales semant viol, terreur, assassinats et amputations des bras pour priver les populations de la possibilité de tenir un bulletin de vote, on se souvient de ces images de Sierra Léone, Yondo s'accroche à ce bouquin de Joseph Conrad. La référence au roman Au coeur des ténèbres m'a quelque peu ému ou troublé, c'est selon. Je ne sais pas vraiment ce que Derey veut véhiculer en évoquant cette plongée dans un autre âge d'un explorateur chargé de clichés colonialistes et racistes. En quoi ce texte peut inspirer quoique soit à Yondo...
Au delà  de ce point, la plume de Jean-Claude Derey est sublime dans la description de ces tueurs adolescents, anges car l'écrivain arrive à aller au-dessous de la carapace de ces trancheurs de mains, de ces violeurs, cannibales. Il n'use pas du style pour faire des effets. Il dit les choses. Yondo parle. Il retrouve son petit frère, avec un moignon entrain de pourrir, le perd... Yondo tente de garder ses mains propres, protégé un major de 20 ans qui le prend sous son aile...Il tente de garder ce soupçon d'innocence que tous autour de lui tentent de lui arracher, enfants-soldat, Mosquito...
Je suis reconnaissant à Cécile qui m'a proposée cette lecture d'un auteur qui avait secoué la blogosphère en s'attaquant, avec la même barbarie que les enfants-soldats de ce roman, à une blogueuse un peu trop critique sur sa dernière parution...
Singeant la voix flûtée de Cut Hands :
- Mon meilleur souvenir? C'est quand on a aligné deux cent villageois et que j'ai eu droit de les descendre avec une mitrailleuse de gros calibre!
Ils te plongeront dans une rivière de sang et tu trouveras ça bien et bon! Chaque matin, en compagnie de Blood, tu t'enverras une petite coupe pour gagner la force et rouler des mécaniques comme cette tapette de Rambo.
Son mégot atterrit aux milieux des eaux.
Un silence, puis :
- Ce ne sont pas des monstres, Yondo, juste des mômes malchanceux qui se sont trouvés au mauvais endroit... Comme toi et moi... Qui ont mal tourné pour sauver leur peau... Qui hurlent en dedans... Blood? Il avait neuf ans quand il est arrivé ici. Il pleurnichait devant son prisonnier à amputer! Et maintenant...
Tu leur ressembleras, petit... Ni meilleur, ni pire... Tu brilleras encore comme une étoile, mais tu seras mort depuis longtemps...
Page 163, Edition du Rocher
Bonne lecture
Jean-Claude Derey, Les anges cannibales
Edition du Rocher, paru en 2004, 254 pages

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