Magazine Cuisine

Le Langage du vin

Par Daniel Sériot

Le langage du vin

(Isabelle)

Quelle belle origine que celle du mot « vin »… s’il devait vraiment provenir de vêna, mot sanskrit, probablement védique, qui signifie « aimable », « aimé », « amical » !

Mais les philologues chicanent… ne sachant vraiment s’il faut ainsi remonter aux limbes des langues indoeuropéennes pour décider de l’antériorité latine de vinum, ou s’il ne faut pas plutôt s’en tenir au grec oïnos qui remonterait de l’hébreu iin…

Il n’empêche, le vin rend aimable, crée des liens amicaux, et rend volubile…

Le langage du vin…

 

 

Un vin, six dégustations, six descriptions

 

Le technicien : net, équilibré ; du fruit   et du corps ; acidité faible bien compensée par des tanins soutenus.

 

Le maître de chai : mieux que l’an   passé ; la cuvaison bien conduite a compensé les petites pluies d’avant   vendange.

 

Le courtier : classique, bien fait, sans   problème ; un peu mieux que la moyenne du secteur.

 

Le sommelier : rubis profond, brillant ;   très joli nez de merlot bien mûr ; charnu et gras ; parfait avec le   gigot mais éviter les côtelettes aux herbes de Provence trop épicées.

 

Le chroniqueur gastronomique : magnifiques   reflets d’or rouge, resplendissant à la flamme des bougies ; nez   puissant de fruits gorgés de soleil, de cerise noire, de mûre, avec des notes   bien fondues de pruneau, de confiture de figue ; tanins de soie faisant   la queue de paon en tapissant tout le palais ; vin très long ; une   bien belle réussite pour ce cru habitué aux succès et sachant bien gérer les   années difficiles.

 

L’amateur-consommateur : très sympathique, je   vais en recommander quelques bouteilles pour la maison et pour offrir.

 

Beaujolais-Village, récolte 1974, p. 190, E. Peynaud, J   Blouin, Le Goût du vin Ed La Vigne, 4ème édition oct. 2006

 

Le langage du vin (le langage de l’œnologie) témoigne de la pluralité d’approche des différents profils de dégustateur. E. Peynaud et tant d’autres après lui ont rejeté systématiquement tout verbiage non représentatif du vin si l’usage des termes se voulait trop affectif, ou trop imaginatif.

Pour autant, le lyrisme dans la description est admis, entériné, et à notre insu d’ailleurs.

En effet, la sémantique qui préside à l’analyse du vin a recouru assez rapidement à l’emploi métaphorique, véritablement perçu comme tel initialement - c'est-à-dire au sens aristotélicien du terme, faisant de la métaphore une comparaison elliptique - pour définitivement adopter ces métaphores en catachrèses (le sens premier du mot est oublié, le terme est définitivement amputé de son acception originelle).

Par exemple, l’occurrence du mot corps pour parler du vin, si elle s’est voulue volontairement comparative de la physiologie féminine (d’où d’ailleurs les sèmes y afférents, maintenant inusités : cuisse, jambe, etc.), ne s’emploie aujourd’hui qu’avec univocité, non plus comme sens figuré.

L’emploi de la métaphore dans le langage du vin a pour particularité de créer de nouvelles réalités dans la perception du vin : nouvelles réalités transférables puisque l’image du vin décrite l’est dans l’objectif de la dessiner dans l’esprit du lecteur. Les métaphores œnologiques engendrent des constructions de l’esprit, des interprétations, qui prennent, dans leur aboutissement, consistance dans un système conceptuel propre au monde du vin, non transférable à aucun autre, et créatif à son tour de nouveaux concepts, investi donc d’une terminologie qui lui est propre.

Ainsi les expressions « tanins fondus », « soyeux », « minéralité » du vin sont-elles en réalité des métaphores oubliées, considérées aujourd’hui par le dégustateur comme des signifiants non substituables… ayant un sens propre bien défini, univoque.

La création d’un langage spécifique à une discipline est un processus cognitif bien naturel, certes. Ce qui explique que chaque domaine scientifique détient son propre lexique, souvent bien hermétique aux béotiens.

Mais la particularité de l’œnologie est qu’elle s’adresse tout autant au monde professionnel qu’à l’amateur, tout autant au profane qu’au connaisseur. Avec des spécificités langagières descriptives, précises, scientifiques, la communication du vin sait aussi être émotive et esthétique. Terminologie dyadique, qui doit donc coupler lyrisme, poésie et précision, univocité…, qui doit coupler objectivité et subjectivité… tout un défi que traduire un vin ! 

L’œnologie vise dans sa spécialité une forme d’intellectualisation dans son rapport à l’écriture, idéalement conceptuelle, précise et savante, mais elle ne saurait neutraliser l’émotivité de celui qui, à travers la description du vin, se dévoile, s’engage et se passionne.

SAUTERNES, FILS DE DIONYSOS, de Brigitte FAURE, 1997

Oh, Sauternes! Vin de joie
Soleil en Bouteilles
Lorsque je te déguste
Mon palais en émoi
De douceur s’émerveille.
Joyau de ce terroir
Que la vigne nous donne
Le temps est plein d’espoir
Avec la main de l’homme.
Les brouillards du Ciron
Caressent les grains de velours
Le soleil et la saison
Tendrement leur fait la cour,
Né de cette union
Botrytis cinerea,
Précieux champignon
Offre son pourri délicat
Au sémillon,
Muscadelle et sauvignon


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Daniel Sériot 20615 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines