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Li Madou : l'interculturel sino-européen au 16ème siècle

Par Fmariet

Matteo Ricci. 1552-1610. Un jésuite à la cour des Ming, Bibliogr., Index. par Michela Fontana. Traduit de l'italien, Editions Salvator, 456 p. 29,5 €
Voici une biographie de Matteo Ricci, membre de la Compagnie de Jésus, volontaire pour les missions, envoyé en Chine en 1582. Livre agréable à lire, bien mené, savant mais pas trop qui invite à penser les contacts inter-culturels (philosophiques, scientifiques, techniques).   
La stratégie d'évangélisation de Ricci est prudente, patiente. Il va d'abord se faire chinois. Il apprend la langue, la parle, la lit et l'écrit. Il assimile l'oeuvre de Confucius qu'il admire et dont il traduit en latin les Quatre livres essentiels. Il construit et habite une maison chinoise. Il s'habille en mandarin, se laisse pousser barbe et cheveux. Après des années, le voilà dans la société chinoise comme un poisson dans l'eau, réalisant le rêve des ethnologues du XXème siècle, établissant un modèle inimitable de "terrain" ethographique de longue durée, 32 ans. En comparaison, les séjours de nos ethnologues, quelques mois, semblent bien courts... 
En 1585, Matteo Ricci devient Li Madou, son nom chinois, (窦), le sage d'Extrême-Occident (西泰), Xitai, son nom honorifique.
                                                                                                                                                                      
Cette histoire de l'implantation des Jésuites en Chine est un livre sur la distance. Le voyage d'Europe en Chine dure au moins six mois. Matteo Ricci est loin de ses livres, il est difficile d'en faire venir. Il est loin des savants occidentaux (Copernic, Galilée). On perçoit à chaque moment combien la communication est lente : le courrier met des mois, se perd. On fait des sauvegardes à la main. Il n'y a pas de dictionnaires bilingues (Ricci contribuera à un dictionnaire sino-portugais). Il faut copier les planisphères à la main.
Distance culturelle aussi : des années pour apprendre le chinois. La reconnaissance passe surtout par la culture scientifique et technique, universelle, laïque, démontrable et parfois montrable. Le respect des lettrés chinois passe par les traductions (Ricci traduira en chinois le premier livre desEléments d'Euclide). Ricci et ses proches ont une ambition digne de l'Encyclopédie et de Google : traduction, astronomie (amélioration du calendrier), géographie et cartographie (Matteo Ricci ne cessera au cours de ses déplacements de prendre des notes). Il était venu convertir la Chine, la Chine l'a converti. La fermeture de la Chine des Ming a imposé l'ouverture culturelle aux visiteurs d'Extrême-Occident.
Sur ce fond de lenteur et de patience, d'échanges et d'apprentissages, se sont développées il y a quatre siècles une pensée et une pratique humanistes. La conquête de la Chine moderne suppose sans doute la même patience, les mêmes détours. A un journaliste qui lui demandait quel conseil il donnerait au président de Google, Li Robin (李彦宏)co-fondateur de Baidu répondit : habiter au moins six mois en Chine. L'apparente mondialisation semble avoir réduit les distances, elle les a rendues moins perceptibles. Elles n'en sont que plus solides : tout humanisme, toute culture demandent du temps ; même à l'époque du Web, il n'y a pas de raccourcis culturels.

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