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[Chronique] C’est déjà ça – Alain Souchon

Publié le 06 décembre 2010 par Cuttingpapers

C'est déjà ça - Alain SouchonC’était par une fin de soirée froide, mais pas encore neigeuse, alors que je me retrouvais coincé dans des bouchons, que cela s’est produit.
Pas de CD sous la main, juste la radio. Pff, pas terrible. Entre pop débilitante et émissions léthargiques, je surfe sur les ondes à la recherche de quelque chose accrochant mon oreille.
En vain.
Et puis soudain, Souchon. Foule sentimentale.
On appelle ça un choc émotionnel, une « madeleine de Proust ».
Je me revois une dizaine d’années auparavant à l’arrière de la voiture de mes parents, coincés dans d’autres bouchons, écoutant alors la K7 de C’est déjà ça.

Nous sommes en 1993. Bérégovoy s’est suicidé, une prise d’otage mettant en scène un certain Nicolas S. a lieu, le téléphone cellulaire est lancé, l’OM devient championne d’Europe et les lillois peuvent rejoindre Paris en TGV, et vice versa.
Et en octobre, un chanteur nommé Souchon, poète lunaire, mélancolique cool, sort son nouvel album.
Entièrement écrit de sa main, et sur lequel est, entre autres, venu poser ses notes Laurent Voulzy.
Inutile de tourner autour du pot, et quitte à soulever des nuées de mécontentement, C’est déjà ça est le meilleur album de Souchon, et sans doute le meilleur album de pop française qui m’est été donné d’écouter.
Oui, rien que ça. Et ce n’est rien de dire que me faire aimer un album fiançais relève de l’exploit.

Cet attachement particulier à cet album de Souchon vient de plusieurs choses.
Outre le fait qu’il contient les trois « standards » de l’artiste (Foule sentimentale, L’amour à la machine et Sous les jupes des filles) et qu’il ait été le plus récompensé, il recèle des qualités textuelles et sonores qui aujourd’hui, lors de sa redécouverte, lui ont permis de garder son éclat.

Souchon a toujours été une sorte de révolté tranquille. Un impénitent rêveur, qui sous ce masque dissimule une lucidité et une acuité surprenante dans la description de ses contemporains.
Toujours en finesse et avec une grande poésie, il aborde ici des sujets variés, sans jamais perdre en cohérence.
Société de consommation, relations humaines, écologie, racisme ou politique, tout y passe sur des tons tour à tour légers (Sans queue ni tête) ou bien plus mélancolique (C’est déjà ça).
Oscillant entre jeux de mots plus ou moins subtils, références pop, et autres effets de styles jamais pompeux et toujours maitrisés, l’album trace en filigrane l’ombre de nos révolutions. Perdues ou gagnées.
Il dépeint ce perpétuel grand écart entre réalité et désir. Un écart qui s’il était déjà flagrant en 1993, s’avère encore plus marqué de nos jours.
Ainsi on s’aperçoit qu’à l’exception de ses deux références pop (Schiffer et Sullitzer), Foule Sentimentale reste toujours d’actualité. Matraqués de concepts vendeurs, sans cesse à la merci de nouveaux besoins et de nouveaux désirs « qu’on nous inflige » et « qui nous affligent », nous sommes toujours attirés par la liberté. Par « les étoiles, les voiles ».

La liste de chansons intemporelles pourraient encore s’étendre tant les thèmes sont abordés sous un angle universel, et non celui d’une époque.
L’écoute de Le Fil, L’amour à la machine, Les filles électriques ou Sans Queue ni tête en sont d’éclatantes preuves.

Sous l’apparente légèreté se cache aussi comme je le disais, une profonde mélancolie, comme sur Les Regrets ou Chanter c’est lancer des balles, analyse sensible et lucide de la vie de chanteur. Voire d’artiste.
On s’aperçoit alors que c’est un amer constat qui est finalement livré. Celui du triomphe de la froide lucidité et du cynisme sur nos idéaux et nos rêves.
Celui d’une réalité devenu en dépit de tout bien terne, et dans laquelle-même l’amour et Bob Dylan finissent par apparaitre comme de lointaines légendes.
Un ensemble dense, riche et finalement surprenant de fraicheur.

Une fraicheur aussi inhérente à la musique.
Car si l’album n’a pas (tant) vieilli que cela, c’est parce que les chansons ont été arrangées avec intelligence et subtilité.
Plutôt que de taper dans des sonorités du moment ou des motifs tape à l’œil, Alain Souchon a choisit la concision voire parfois le minimalisme.
Si la part belle est faite aux guitares folk et à des suites d’accords simples, cela n’empêche pas C’est déjà ça de varier ses teintes ça et là.
Des influences reggae de Sous les jupes des filles, à celles plus orientales de C’est déjà ça, en passant par des dobros, chaque chanson à son apparat propre qui lui permet de se distinguer du lot.
Ici donc, pas de synthés datés ou de mélodies criardes.
Ce qui n’empêche en rien l’émotion. Bien au contraire.
Chanter c’est lancer des balles et les filles électriques, les deux morceaux les plus dépouillés du disque, possèdent autant de forces que d’autres plus vivaces.
Là ou d’autres prennent chaque jour dix ans de plus, cet album arpente le temps avec sérénité. N’accusant le coup qu’à de rares moments.

Finalement, ce qui résume le mieux l’esprit général, c’est encore la chanson phare. Récit d’un immigrant Soudanais, qui malgré ses difficultés parvient à trouver dans des actes anodins une sorte de petit bonheur. Un sens à donner à ce qu’il lui (nous) reste.

Je suis encore dans les bouchons, et la chanson est déjà finie depuis un moment. Et le zapping a continué. A cette allure, on prend mieux conscience de l’absurdité des 4×3 qui bordent nos routes et des spots qui envahissent nos oreilles.
Je me dis que j’écrirai bien une chronique sur l’album de Souchon, et je fredonne Foule sentimentale, entre les klaxons.
Coup d’œil dans le rétro, un léger sourire sur mon visage.
Après tout, c’est déjà ça.

Ecouter un aperçu de l’album.


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