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Berlin, 1928

Publié le 07 décembre 2010 par Les Lettres Françaises

Berlin, 1928

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L’événement récent le plus important est la nomination de Hermann Scherchen à la tête de la vie musicale de la ville de Königsberg et comme directeur général de la Ostmarkenrundfunk. Le nom de Scherchen est très connu depuis ces dernières années. Il est originaire de Berlin où dans sa jeunesse il jouait de l’alto dans les orchestres. Pendant la guerre, il fut prisonnier des Russes, et lorsqu’il revint en 1918 à Berlin, il s’adonna immédiatement à la musique contemporaine avec une telle ferveur que les concerts qu’il organisa alors constituèrent des événements musicaux majeurs dans la vie musicale berlinoise de l’après-guerre. Pendant tout ce temps, Scherchen avait évolué, devenant un excellent chef d’orchestre dont la précision et la conscience musicale ne servaient pas uniquement les oeuvres les plus récentes car il dirigeait aussi des oeuvres classiques dans des interprétations en phase avec l’esprit qui s’impose de nos jours.

Après une activité transitoire à Leipzig, Scherchen fut nommé en 1922 à la tête des Museumskonzerte de Francfort, mais l’année suivante il dut renoncer à son poste, et ensuite il dirigea surtout en tant que chef invité à l’étranger. C’est l’un des pires scandales de la vie musicale allemande qu’à ce jour cet excellent chef n’ait pas encore reçu un poste qui convienne à ses capacités et à ce qu’il a accompli jusque-là. Aussi les mélomanes ont-ils salué avec grande joie sa nomination à la tête des Concerts symphoniques de Königsberg, ce qui lui permet de déployer son énergie précieuse dans un poste de cette importance. C’est aussi un événement pour la radio allemande car enfin, pour la première fois, un chef d’orchestre de grande envergure assume la direction musicale d’une station de radio. Jusqu’ici la responsabilité des stations émettrices incombait à des fonctionnaires de bonne volonté qui ne sortaient jamais de la moyenne des chefs allemands. Il est important, justement en Allemagne où la musique a atteint un niveau très haut, que les stations de radio confient la responsabilité musicale à des personnalités de premier plan. Avec un chef tel que Scherchen, nous pouvons assurément nous attendre à ce que les programmes radiophoniques qui, ces derniers temps, s’enfoncent de plus en plus dans la stagnation, prennent un visage nouveau. Scherchen renouvellera complètement la part de la musique contemporaine dans les programmes des émissions. (N’oublions pas qu’il y a quelques années, il a agi en pionnier en ce sens à la radio de Francfort, avec ses conférences et ses exemples orchestraux.)

Mais nous devons aussi saluer cette nomination pour une autre raison : c’est la première fois que le poste de Generalmusikdirektor d’une ville est couplé avec le poste de directeur musical d’une station de radio. C’est un des pas les plus décisifs sur la voie qui vise à donner à un émetteur toute sa place dans la vie musicale publique. Partout on discute sur le fait de savoir si la radio veut participer à la vie musicale publique ou si elle veut continuer son chemin en solitaire, axé sur une gestion musicale essentiellement populaire. Or justement dans les grandes villes allemandes, on s’inquiète de constater qu’à côté de la direction musicale de la ville, l’orientation musicale de la radio reste totalement autonome. Le rapprochement de ces deux entités doit amener petit à petit à une confluence et nous sommes convaincus que cette question trouvera une réponse favorable grâce à Hermann Scherchen.

Kurt Weill

Décembre 2010 – N°77




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