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Nouvel Observateur, vieux sexisme

Publié le 24 décembre 2010 par Variae

Faut-il parler du look des politiques, ou l'ignorer superbement pour se concentrer sur " les idées " et le " débat de fond " ? Sauf à se complaire dans la naïveté ou l'hypocrisie, la réponse est affirmative ; il est évident que l'aspect visuel joue un rôle non négligeable dans la perception d'autrui, selon des modalités qui n'ont rien d'évident dès lors qu'on parle des habits des dirigeants et des élus. Faut-il se couler dans les codes du pouvoir ou dans les usages dominants (et quels sont-ils ?), ou au contraire jouer sur le décalage ; ressembler aux Français (et auxquels ?) ou au contraire être dans la distance par rapport à eux ; quelles interactions entre apparence, posture, voix, idées, parti, etc. Autant de questions extrêmement pertinentes et relevant d'ailleurs plus de la science que du commentaire journalistique. Aussi est-ce avec une circonspection teintée d'inquiétude que l'on découvre dans la dernière livraison du Nouvel Observateur un " palmarès " annuel du " look des politiques ", servi par un jury de choc : Gaël Sliman de BVA - la caution scientifique - Anne Boulay de GQ - la caution style - Sébastien Thoen d'Action Discrète - la caution djeune - Caroline Baly de l'agence Image Nouvelle, " spécialisée dans le relooking " - la caution professionnelle ( ?) - et enfin François Bazin en caution Nouvel Obs, " chef du service politique ".

Nouvel Observateur, vieux sexisme

La livraison part d'emblée sur une gêne ou un malentendu. On nous explique en introduction que les vêtements sont désormais des " éléments d'information qui racontent [...] où en sont les responsables politiques ", avant de justifier l'article par le fait qu'établir un " palmarès " a paru " amusant " à la rédaction. Sérieux, pas sérieux ? Même flou du point de vue de la catégorisation, l'article est classé dans les pages " Obstyles " (" le portail des tendances du nouvelobs.com "), mais traite bien des responsables politiques, de leur parcours, de leurs qualités (on dit ainsi de Najat Belkacem, soutien de Royal, qu'elle n'a " pas forcément choisi le bon cheval "). Le ton est donné : on va parler de politique, mais puisqu'on le fait dans la rubrique mode et en trouvant cela " amusant ", on va pouvoir se lâcher, sans rien assumer, et sortir des limites que l'on s'impose encore dans les pages sérieuses de l'hebdomadaire.

Et le moins que l'on puisse dire est que le lecteur n'est pas déçu. Les femmes ? Des salopes, ramenées systématiquement à des considérations sexuelles allusives ou à des commentaires directs sur la beauté pure des unes et des autres, là où leurs collègues masculins sont presque exclusivement interrogés sur l'élégance de leur mise. C'est donc un festival de fantasmes éculés : Rama Yade a un " visage de déesse " (on sent que l'adjectif " noire " a démangé le clavier) et une " plastique " remarquable ; NKM est " délurée " et prouve que l'on peut être " compétente et sexy " (était-ce encore à prouver ?) ; Michèle Alliot-Marie a un côté " dominatrice, fouetteuse " (probablement la seule figure du pouvoir accessible et permise pour une femme), adjectifs qui sont ensuite accolés à NKM (" Elle a un côté Catwoman [...] elle le raccompagne en fouetteuse [...] en l'écrasant de ses talons "). On disserte sur les " audacieuses et vaporeuses robes de soirée " de Lagarde, sur le côté " vamp sorcière " de Jeannette Bougrab, on ironise sur Chantal Jouanno, qui ne pourrait aspirer qu'à être " chanteuse à Monaco ", on admire la " jolie " Najat Belkacem, avant bien entendu d'entamer un petit couplet sur Ségolène Royal - " moche quand elle était jeune " (comme Marine Le Pen et son " visage rougeaud "), mais devenant " un bolide en vieillissant " après avoir jouer " la reine de beauté " en 2007. Bref, un comparatif entre bouts de viande, ramenés à des clichés que l'on fustigerait vigoureusement dans les pages sérieuses de l'Obs : la sculpturale noire, la maîtresse SM, l'orientale démoniaque ou innocente, la MILF.

Ce tableau est d'autant plus frappant que les qualificatifs réservés aux hommes sont d'une tout autre nature. François Fillon est simplement " l'homme le mieux habillé de France ", on loue le côté " sobre " de Benoît Hamon, Moscovici " a les codes " et est " impeccable ", comme Copé ou Jean-Vincent Placé " qui a tout compris " avec " ses costumes de banquier ". Une simple question d'élégance, donc, et de coupe des costumes, " habits du pouvoir ", très masculin pouvoir (il n'est visiblement venu à l'idée de personne que le prix du " meilleur costume " pouvait aussi être attribué à une femme, en l'étendant au tailleur, par exemple). On admire la qualité du nœud de cravate des hommes politiques, mais on surveille la hauteur des talons et la silhouette de leurs collègues féminines, c'est comme ça. Et quand on vient malgré tout sur le terrain du physique pur pour les hommes, c'est pour regretter que lesmédias n'interrogent François Hollande que " sur son régime " tout en oubliant son " vrai projet politique " ... avant de parler de son ex-compagne, donc, en termes de " moche " puis de " reine de beauté " à l'actualité " un peu défraichie ". Sans doute la présidente du Poitou-Charentes a-t-elle perdu toutes ses idées politiques après sa phase de " mémérisation ". Il est vrai que ce qui peut arriver de pire à un homme, selon " le jury ", est de porter des " jeans de mère de famille américaine ".

Nous ne nous arrêterons pas sur les discrets messages bien politiques glissés au passage sans aucune justification, Montebourg qui " fait de droite ", Cohn-Bendit " décalé " comme " son discours ", Rama Yade qui mélange " look, charisme et idées politiques ( !) ", Lagarde " ultra compétente et que le monde entier nous envie ", sans oublier ceux déjà mentionnés plus haut. En revanche, aucune analyse un peu sérieuse, aucune prise de distance, aucune interrogation plus sociologique ou anthropologique sur le sujet de l'apparence, du look. Aucune tentative d'objectivisation des critères. Aucune relativisation des jugements péremptoires ainsi posés : il faut croire qu'il est évident qu'un panel de journalistes, de marchands de sondages et de relookers professionnels comprend naturellement comment les élus sont perçus par 60 millions de Français.

On viendra sans doute nous expliquer qu'il faut avoir un peu d'humour, de second degré, qu'on peut bien rire, qu'il faut sortir de la dictature du politiquement correct. Fort bien. Mais il est à craindre qu'il sera très difficile de prendre au sérieux le Nouvel Observateur, la prochaine fois qu'il nous parlera ex cathedra de féminisme, de sexisme, de pipolisation, de bling bling ou de dignité du débat.

Romain Pigenel


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