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Beaumarchais vraiment éclipsé par Mozart ? (”les Noces de Figaro”, opéra de Mozart, 1786)

Par Jazzthierry

Hermann Abert disait que la différence entre “le Mariage” de Beaumarchais et “les Noces” de Mozart était tout simplement celle qui sépare le “talent” du “génie”. L’académicien Pierre-Jean Rémy dans son “Dictionnaire amoureux de l’opéra” ne pense pas autrement: “L’opéra de Mozart, écrit-il, a sans contexte (sic), éclipsé dans le monde entier le beau Mariage de Figaro de Beaumarchais. C’est un peut triste (…) mais quand bien même la pièce est admirable, l’oeuvre de Mozart a su en cristalliser à peu près toutes les qualités, plus une.” Il est en effet difficile de résister à cette musique miraculeuse qui vous prend dès l’ouverture, vous soulève et vous entraîne ensuite sur la scène entre Figaro et Suzanne, puis vous pose avec délicatesse, trois heures plus tard sur votre fauteuil, le visage complètement hébété, heureux comme avec une femme… Pour preuve, cet air que j’adore (voir vidéo) au début de l’acte IV, chanté par Barbarina toute malheureuse d’avoir perdu son épingle…

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En revanche, il faut bien dire que le lecteur de Beaumarchais est pour le moins surpris de voir un Figaro, qui chez Mozart a perdu l’essentiel de son charisme, son intelligence, ses mots d’esprit. Pire, la dimension politique semble avoir complètement disparu ! Il est vrai que ce n’est pas tout à fait l’avis de certains spécialistes qui voient par exemple dans l’effacement progressif du héros au profit de la Comtesse et de Suzanne, une preuve patente du “féminisme” de Mozart ou de son librettiste, Lorenzo Da Ponte. Pour d’autres, la musique serait en elle-même porteuse d’un message politique, en contribuant à dépasser l’inégalité sociale… Pierre Jean-Rémy dans le même ouvrage, s’échine à trouver des exemples qui abondent en ce sens: “lorsque le personnage de Figaro, écrit-il avec un enthousiasme constant, lance vertement au Comte Almaviva (mais prudemment, en son absence) que, s’il a envie de danser avec sa Suzanne à lui, eh bien, il saura le faire danser !, on sent bien qu’il y a déjà là un parfum de Révolution française”. Pour ma part, je demeure sceptique… On ne peut être que frappé par la disparition dans l’opéra, du plus politique des monologues du Mariage, celui de Figaro fulminant contre les privilèges de son maître, le Comte Almaviva:

“… Non, monsieur le Comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie!… Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier! Qu’avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire; tandis que moi, morbleu! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes: et vous voulez jouter…” (Acte III, scène V).

En guise de conclusion, si Mozart n’a aucunement éclipsé Beaumarchais en tout cas à mes yeux, on pourrait se demander si le théâtre n’est pas par nature et dès les origines, plus politique que l’opéra ?
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Illustration: D’après Jean-Marc Nattier, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799), portrait en buste, huile sur toile, collection privée, 1755.


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