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Interview de Max Santoul auteur de Ménino

Par Pikkendorff

Interview de Max Santoul auteur de MéninoMagnifique entretien avec Max Santoul, auteur du très poétique Ménino, organisé par Babelio et Alzieu.

Interview de Max Santoul auteur de Ménino
Le livre qui vous a le plus donné envie d’écrire ?

A la recherche du temps perdu , incontestablement. On a l’impression que c’est une école d’écriture, que Marcel Proust vous offre ses secrets. J’étais très à l’aise dans la lecture de son œuvre. Je n’ai pas eu peur des phrases longues ni des adjectifs, alors que dans la littérature actuelle postmoderne l’adjectif est considéré comme une insulte et l’adverbe une abomination. En revanche, j’ai beaucoup travaillé la pertinence et l’élasticité sémantique de ceux que j’ai conservés dans mon premier roman.

Quel est votre première grande découverte littéraire ?

Avant Proust, que j’ai lu trop tardivement, j’avais été fasciné par Le parfum . C’est un livre qui m’a beaucoup impressionné.
La lecture des poètes a précédé celle des romanciers. Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Paul Valéry… ont nourri mes premiers émois. On n’a pas besoin d’initiation pour lire de la poésie. Elle s’offre spontanément à la sensibilité de chacun. C’est l’univers de l’écriture magique.
J’ai été attiré par le talent de Louis-Ferdinand Céline également. Être médecin, ce que je vis au quotidien, c’est aussi parler intimement avec des milliers de personnes. Ce qui donne un tout petit peu de légitimité dans l’écriture, l’expérience de l’humain et des situations…

Quel est l'auteur qui vous a donné envie d'arrêter d'écrire (par ses qualités exceptionnelles, peut être...) ?

Si j’ai admiré la beauté de l’écriture de Proust sans la moindre intimidation, Le parfum , en revanche, m’a fait peur. J’ai trouvé le roman tellement bien écrit, tellement bien traduit ; il m’a tellement impressionné, que l’envie d’écrire m’a abandonnée. C’est alors que l’œuvre de Proust, qui normalement aurait dû m’assommer, a provoqué le sentiment inverse.

Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

Tous les livres d’astrophysique. J’ai quasiment tout lu et relu sur le sujet.
J’aime aussi lire des ouvrages sur l’histoire des religions. Pas sur les religions mais sur leur histoire, ce qui fait une sacrée différence.
Sinon je suis resté amoureux des dictionnaires.

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

Ça, je ne veux même pas répondre. J’ai trop de honte ! En dehors des livres scolaires qui me furent imposés, je ne lis de la « littérature » que depuis une vingtaine d’années (à part la poésie et l’astrophysique que je dévore depuis l’enfance).
J’ai au moins trente livres sur ma table de nuit ! Je viens d’en rajouter encore 25 sur Babelio !
Des américains que l’on dit incontournables, je n’en ai encore lu aucun. Mes vingt prochaines années vont être consacrées à la lecture !

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

Figurez-vous que j’ai fait découvrir Le Parfum à beaucoup d’amis ! J’ai lu ce livre bien avant d’autres, puis sa diffusion a explosé. Patrick Süskind, d’ailleurs, a d'ailleurs vécu dans le village du livre et des arts graphiques de Montolieu, tout près de Carcassonne (ma ville natale racontée dans Ménino).

Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

Ah ! il y en a quelques-uns. Pour moi, par exemple, Le Portrait de Dorian Gray n’est pas abouti. Il ne maîtrise pas assez son personnage principal, ni ses émotions ni son histoire. J’en ai fait la critique sur Babelio. Il parle de choses étranges, mais n’en démonte pas le mystère…. Comment peut-on dire qu’une passion culmine entre deux êtres sans en montrer l’ascension ? Il y a des vides dans la construction, des ellipses abyssales. L’imagination du lecteur ne suffit pas toujours à combler le vide de la plume, en tout cas pas la mienne. Le livre est trop suggéré. On ne peut tout de même pas bâtir un chef d’œuvre uniquement sur des suggestions !

Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

Il y en a trop ! Il faudrait que je cherche ! Proust, j’aurais envie de noter une phrase presque à chaque page. C’est hallucinant.

Et en ce moment que lisez-vous ?

Je lis la correspondance de Vincent van Gogh et La Tour noire . L’épistolaire et la biographie sont des genres qui intéressent. Quant à Louis Bayard, son habileté me confond. Je n’ai pas souvenir d’avoir autant aimé un style d’écriture depuis mes premières lectures « fondatrices ».

Le roman Ménino fourmille de détails inouïs. Alzieu se demande comment avez-vous pu "rappeler" votre mémoire avec autant de précision ?

Il faut convoquer les mémoires, celles des formes, des couleurs, des émotions, des sons… et se laisser convoquer par d’autres : celle des parfums par exemple. La mémoire est un personnage virtuel qui vient à vous à la demande, sa fidélité est étonnante en remontant dans le temps.

Mais comment les insère-t-on dans le récit ?

Cela vient tout seul. Tant que la phrase à l’oreille ne m’évoque pas le ressenti, je continue de la travailler. Je continue jusqu’à calculer l’expansion de chaque adjectif, la force évocatrice de chaque mot, de chaque verbe. Dans chaque mot il y a une force d’évocation : « platane » n’a pas la même force que « chêne » etc… De même l’adjectif se calcule par rapport à son élasticité et le verbe par rapport au mouvement dans l’action. Il faut que l’ensemble me chante à l’oreille comme une musique et exactement comme si je peignais. J’ai toujours été pinailleur sur les détails. Je suis très sensible au fait que les choses doivent être d’équerre, ordonnées, précises ; alors que quelqu’un qui a grandi à la campagne ne devrait pas l’être. Les arbres sont tordus, les montagnes découpent l’horizon en dent-de-scie et les maisons ne sont pas bien droites. Curieusement, je suis hanté par « l’orthodromie ». Vous le retrouvez dans les phrases et dans la construction des mots. Il faut que tout soit cadencé.

On sent un vrai travail dans la construction des phrases. L’influence de Proust dont vous parliez…

Je pèse les mots, j’essaie de mettre de l’émotion dans un espace et un temps restreint, dans des phrases littéraires où parfois le sens se dissipe, s’ouvre sur d’autres choix possibles…
C’est un livre terriblement, terriblement, terriblement travaillé. Comme dit bleuettediot (écrivain membre de Babelio) qui m’a posté un gentil message : Balzac mettait des jours à trouver le mot juste. J’ai fait ça. J’ai mis des jours à chercher, à trouver le mot juste. J’ai passé des nuits à écrire des passages qui ne font que quelques lignes. Ce livre, c’est 3 mois d’écriture et 7 ans de réécriture !

Quand prenez-vous le temps d’écrire ? Votre travail de médecin ne doit pas vous laisser beaucoup de temps…

J’écris souvent avant de m’endormir. Au moment de l’endormissement, sur le seuil du rêve, les idées m’arrivent de façon beaucoup plus originale. Si je ne les note pas immédiatement, elles sont perdues.
La nuit est un moment propice à la création. L’idéation m’y semble plus facile.

Vous dites que vous pesez les mots. Le travail de réécriture et de relecture a dû être très important ?

Un de mes collègues et ami qui aime beaucoup lire (celui qui est à l’origine de ma formation chirurgicale, mentionné dans le roman) m’a dit : « tu as écrit Ménino avec un pèse-mot ! ». Effectivement, chaque mot est affiné et la ponctuation travaillée sans relâche.

Comment en êtes vous arrivé à écrire un roman (la nuit), vous qui êtes dermatologiste (le jour) ?

J’écrivais de la poésie, comme le font beaucoup d’adolescents, puis des chansons, mais je n’arrivais pas à écrire de la prose « construite » (en dehors du style épistolaire qui ne laissait pas indifférents mes destinataires). Je n’arrivais pas à décrire simplement les objets, les situations et les mouvements, je les évoquais trop poétiquement. Tout s’est déclenché par l’écriture et la réécriture de l’ensemble des techniques chirurgicales nécessaires à l’organisation de congrès dont j’eus bien plus tard la charge. Pendant 10 ans, j’ai dû réécrire du descriptif.
Puis, deux amis m’ont donné du courage : Francis Veber pour les dialogues (il ne m’a pas vraiment donné de conseils, mais m’a rassuré sur leur qualité) ; Shere Hite pour les passages sexuels, qu’elle m’a aidée à travailler. (Shere Hite est l’auteur de rapports qui font référence en la matière : 68 millions d’exemplaires vendus à travers le monde !)
J’ai eu ainsi le blanc-seing de Shere Hite pour les passages sexuels initiatiques délicats et celui de Francis Veber pour les dialogues. Shere a même été à l’origine de l’écriture de Ménino, puisque après lui avoir raconté l’épisode du canari elle m’avait demandé de le lui écrire ! Je l’ai donc écrit grâce à elle, pour elle. À partir du Canari se sont enchaînées des nouvelles, puis ces nouvelles se sont reliées entre elles et Ménino est né de cette couvée.

Tout ça avant même de penser à un roman ? Elles sont pourtant très bien intégrées dans le texte final…

Exactement ! Après avoir écrit Le Canari (dont j’ai gardé le titre), j’ai rédigé d’autres nouvelles (La Gifle, Le Larcin, L’Accident, Pierrot… dont les titres ont été supprimés). Puis j’ai conçu des artifices pour les relier, parce que j’ai constaté qu’elles pouvaient s’emboîter. Mais ce n’était pas joli, c’était trop construit… Alors, j’ai retiré les ficelles, j’ai imaginé de nouveaux personnages, et le fil de l’histoire fut retrouvé par le jeu des souvenirs mêlés. La mémoire se convoque, mais parfois c’est elle qui vous convoque. Elle est venue dicter sa loi et orienter la construction romanesque.

Il y a donc toujours le risque que ces souvenirs reviennent un peu déformés…

Oui, c’est la définition même de l’autofiction.
Pour parler de concepts comme la peur, l’absence, le mensonge, le mal, la douleur, il m’a fallu créer des situations, des personnages empruntés ou imaginaires.
La partie de carte, par exemple, qui était un hommage à Marcel Pagnol utilisé pour parler de la guerre, a fait apparaître le bûcheron. Ce bûcheron, il m’a fallu ensuite trouver pourquoi il pouvait impressionner les autres : parce qu’il est plus costaud et rendu irritable par le départ de son fils au Canada. Pourquoi un autre est pleutre ? parce que sa femme abuse de sa faiblesse ; pourquoi elle abuse ? parce qu’elle est autoritaire… l’histoire embraque son auteur, lui échappe, en voilà tout le charme.

N’y a-t-il pas par la suite une confusion entre vos souvenirs et ce que vous inventez dans le roman ?

Les souvenirs se calquent sur la fiction. Ils expriment plus le ressenti que le vécu. Ce n’est pas un problème, plutôt une belle concordance avec le genre littéraire revendiqué.

C’est un jeu de pouvoir !

Exactement ! Certes la partie de cartes est inventée, mais je les ai bien vus jouer aux cartes ! Je les ai bien vus parler de la guerre ! Je les ai bien vus boire leurs alcools ! Je les ai bien vus se disputer !

Quelle est votre situation par rapport à l’autofiction ?

Serge Doubrovsky l’a très bien décrit. C’est un genre qui est typiquement français. Son intérêt réside dans la liberté de l’auteur. La liberté dans l’écriture et dans la possibilité de faire intervenir des concepts virtuels : la peur, la douleur, l’absence, le vide, l’amour, le désir… Dans l’autofiction, rien ne vous empêche d’inventer. La vérité n’y a pas plus de vertu que le mensonge et l’imaginaire pas moins que le réel. Dans l’autobiographie, vous ne pouvez pas vous libérer de la chronique des événements tels qu’ils ont eu lieu. L’autobiographie sert de trame au récit de Ménino, mais l’intervention d’informations acquises par la maturité reste possible... et souhaitable. Vous pouvez mettre dans l’œil de l’enfant le savoir qu’il ne pouvait pas avoir au moment du récit. Voilà où sont les sept ans de travail du texte pour y arriver.

Alzieu fait remarquer que de nombreux événements dramatiques surviennent dans le roman : la perte du père, de votre oncle, les violences des professeurs, etc. Pourtant on sent une vraie nostalgie.

Une nostalgie que vous ne pouvez pas imaginer !

De même, le ton est parfois léger sur des événements très durs. C’est frappant lors de la scène de l’enterrement.

Je parle souvent avec beaucoup de sévérité de choses qui font rire et je parle en riant de choses qui font pleurer. Mais c’est dans ma nature, l’un des critères de la résilience par ailleurs.
L’enterrement, oui J’ai voulu en parler comme Jacques Tati. C’est un épisode tragicomique…

Il y a un gros travail de recherche de votre part pour retranscrire non seulement les époques traversées mais également les différents lieux…

Surtout pour la page dédiée au roman sur Facebook. Je suis allé chercher l’historique de chaque voiture, de la mobylette, du VéloSolex. J’ai retrouvé les chansons évoquées dans le livre...
Mais ce travail de recherche, je l’ai surtout fait pour l’interactivité du roman en ligne. Le reste, je le savais déjà. J’ai aussi posé beaucoup de questions à mon frère et à ma mère (qui a disparu juste avant la sortie de La beauté dans la peau, mon premier livre, et n’a donc pas connu le suivant).

Il y a dans le récit de nombreuses ruptures temporelles. Le temps de Carcassonne n’est pas raconté de la même manière que celui de Caunes par exemple…

C’est une démarche volontaire. Je veux montrer que la contraction du temps et de l’espace change la réalité du quotidien. Quand vous avez 30 ans, 1 an c’est 1/30ème du vécu, quand vous avez 5 ans, 1 an c’est 1/5ème de votre vie. Pour l’espace, c’est pareil, également pour les mots et même les sentiments. Tout a tendance à se rétrécir, à prendre une autre forme, à être autre chose… Donc, quand je suis à Carcassonne, le temps de Carcassonne ne doit pas parler comme le temps de Caunes. Mais je réintroduis souvent le temps de Caunes, parce que je veux garder le langage qui me plait le plus : celui de l’enfant.
Au cours d’une vie, certes, on ne reste pas identique. Mais, s’iI y a des ruptures, le passé conditionne quand même le devenir.

Un dernier mot sur la très belle couverture de Ménino ?

Parmi 80 propositions graphiques, j’avais glissé des images personnelles à la direction artistique du Cherche Midi Éditeur (dont je remercie l’accompagnement et apprécie la protection de toute l’équipe). Eh bien, la couverture décidée fut la photo de la vraie porte, de la vraie maison de ma grand-mère ! Je l’avais un peu « travaillée » pour la rendre intemporelle, mais c’est bien elle, inchangée depuis plus d’un siècle, à l’exception de la disparition d’une chatière. J’ai cadré la façade de façon dissymétrique et conservé la pente de la rue.
Le plus étonnant de l’histoire, c’est qu’elle a été choisie comme couverture du roman par la direction éditoriale au complet, en méconnaissance de son origine et de sa nature ! Ce fut un signe du destin émouvant.

Merci Max Santoul et merci à Alzieu pour nous avoir aidés à préparer cette interview !

Interview de Max Santoul auteur de Ménino
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