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Journal d'une âme : La violette (2-01-2011)

Par Manus

Journal d'une גme : La violette (2-01-2011)

Journal d'une âme : La violette (2-01-2011)

                               Photo du site fotolia.com

Toute petite, à peine visible à l’œil nu, une fleur, la violette, se prélasse sur le sol encore drapé de rosée.

Je ne devrais pas dire qu’elle se prélasse, elle s’ennuie plutôt.  Il semble même qu’elle est triste.  De ses pétales elle tente d’observer aux alentours ce qui se trame, et ne voit pas grand chose, hormis un bois qui s’étend à perte de vue.

Ses congénères gloussent, babillent entre-elles, la vie leur sourit, du moins, c’est ce qu’elle pense, que les autres fleurs aiment vivre.

La violette, si minuscule, si discrète que personne ne se retourne sur son passage, dépérit.

Un peu plus loin, des chevreuils gambadent et joyeusement effectuent des cabrioles ; dans la clairière, la violette aperçoit quelques lapins occupés à grignoter des choses et d’autres dans l’herbe ; et à quelques mètres d’elle, un martin-pêcheur, ô si rare, s’est nerveusement posé sur une branche morte qui gît là.  A peine la brise s’est-elle levée que l’oiseau disparaît fébrilement.

Le sol sur lequel repose la violette bruisse de vie, dont émane une sérénité, de ce qui est, sans que rien ne soit remis en question : ce qui l’entoure est bon, c’est cela qu’elle devine lors de son observation.

Lorsque la violette porte le regard vers le ciel, les branches des arbres dansent de gauche à droite, de droite à gauche, dans un chatouillement de feuilles qui ressemble à un chuchotement, à un air uni au souffle qui les mène.

Sans qu’il ne lui soit possible de les entrevoir, la violette entend que là-haut, des centaines, des milliers d’oiseaux gonflent leur poitrine pour expulser tout ce qu’ils sont, se ramassant en un chant résonnant comme un cri de joie à la vie.

Malgré cette paix naturelle qui l’entoure, la violette est triste.  Elle se demande à quoi elle sert et pourquoi il est nécessaire qu’elle reste là, avec ces quelques pétales ridicules, son teint discret, et sa petitesse frôlant le grotesque.  La petite fleur se sent nulle et ce qu’elle vit n’a pour elle aucun sens. 

Blasée, elle baisse les yeux et voit deux rangées de fourmis marcher d’un endroit à l’autre en file indienne, parfaitement coordonnées, sans qu’aucune ne se bouscule ou ne se dépasse.  Elles travaillent dur, sans relâche, et leur harmonie semble les rendre heureuse ; on aurait dit, songe la violette, qu’elle ont un sens à leur vie, si petit soit-il, et que cela leur suffit.

La violette se demande quel est le sens de sa vie.  Oui, bien entendu, elle aussi rit avec les autres fleurs, bavarde de tout et de rien et commente les derniers événements ; mais cela ne lui suffit pas ; cela sonne creux ; elle a l’impression de porter un masque, comme ce peintre, James Ansor, qui décrit si bien la comédie humaine.

Triste, vraiment, elle penche sa corolle, et bute son regard vers le sol.

Quelques heures plus tard, une pluie fine lui fait redresser sa couronne de pétales.  Cette eau inattendue la surprend, l’inquiète même, car d’une pluie sporadique, la voilà à se muer en cordes d’eau ruisselant le long des troncs d’arbres, s’égouttant rapidement des feuilles, battant la forêt toute entière de ce bruit saccadé et régulier qui les caractérisent tant.

Violette a peur.  Cette pluie diluvienne la tuera ; il ne restera plus rien d’elle.  Que peut-elle faire ?  Elle se met à trembler de toute sa tige, se contorsionne pour observer les autres violettes qui continuent à bavarder entre-elles, sans se soucier du changement de temps.

Au comble de l’angoisse, la petite violette s’écrie : au secours !  Au secours !  Je ne veux pas mourir noyée !

Alors qu’elle se croyait perdue, une voix chaleureuse et tendre lui propose de se calmer car ses feuilles la protègent depuis le début.

La violette, d’abord surprise et émue d’entendre une voix si apaisante et généreuse, touchée en plein cœur, se remet de ses émotions ; puis, peu à peu, réalise qu’effectivement, elle est protégée par les feuilles de l’arbre qui la surplombe. 

La violette n’en revient pas de ne voir seulement maintenant cet arbre : il était là depuis sa naissance, et jamais elle n’y avait prêté attention ! 

Pleine de reconnaissance, les yeux embués, toujours aussi ahurie de cette découverte, la violette pleure de joie de se savoir ainsi protégée.

La pluie ruisselle de toutes parts et s’écoule aux environs, sur toute la forêt, sauf sur elle.  Sèche, comblée de bonheur, la violette médite dans son cœur la présence de l’arbre qu’elle n’avait jamais vue jusqu’ici.

Lorsque la pluie cesse et que le soleil ose tout doucement pointer ses rayons au travers des nuages en voie de disparition, la petite fleur se penche vers la racine de l’arbre à côté d’elle.  Elle l’observe, la racine.  Un peu apeurée, intimidée, voire toujours sous l’effet de la surprise, elle lui demande qui il est.

Voici que du haut de ses cimes la voix de l’arbre lui répond :

- Petite violette, je suis celui qu’on appelle l’arbre de vie.

La petite fleur se sent devenir microscopique en entendant cette voix puissante qui pourtant développe un tel amour à son égard.  Comment cela est-il possible, se demande-t-elle, que cet arbre soit si gentil et m’aime tant ?

Elle ose se retourner et lever les yeux vers le ciel : l’arbre grimpe, grimpe, grimpe, si haut, qu’elle ne peut en voir les cimes.  Il est gigantesque.

La violette est tétanisée face à tant de grandeur infinie, et tout ce qu’elle peut, ce qu’elle croit qu’elle peut, c’est rester là, sans rien dire, à l’observer.  D’ailleurs, chose étonnante, au plus elle l’observe, cet arbre de vie, au plus lui semble s’apercevoir qu’elle l’observe et se penche vers elle.  La violette a l’impression que l’arbre de vie lui transmet un amour doux et puissant tout à la fois, uniquement parce qu’elle se donne la peine de se tourner vers lui.

Un jour, enhardie, la violette se jette à l’eau et lui demande, de sa toute petite voix, à peine audible tant elle est impressionnée et tant elle mesure son néant :

- Arbre de vie, pourquoi m’aimez-vous, moi qui ne suis rien à vos yeux ?

La réponse ne tarde pas ; l’arbre de vie, plutôt que de se perdre en un tas d’argumentations qui perdraient de leur profondeur, penche ses branches feuillues vers la petite fleur, courbe la tête du tronc jusqu’au sol, et lui dit, doucement, tendrement, avec un amour infini, qu’il a besoin de l’aimer, elle, parce qu’elle est unique à ses yeux, et que sa vie, si petite soit elle, le rend heureux.

La violette, secouée au plus profond de son être, pleure.  Tant d’amour de la part d’un arbre si gigantesque lui paraît inconcevable.  D’ailleurs, elle ne comprend pas comment cela est possible ; n’arrive pas à intégrer tout ça.  Tout ce qu’elle sait, c’est qu’il le lui a dit, qu’elle le vit ainsi, et qu’elle déborde de bonheur, de joie.

La petite fleur, dans les jours qui suivent, intègre cet amour que l’arbre lui a confié ; la petite fleur, dans les jours qui suivent, se voit transformée de l’intérieur ; et la petite fleur, à chaque jour qui s’écoule, porte inlassablement son regard sur l’arbre de vie qui depuis toujours était à ses côtés sans qu’elle ne l’ait remarqué.

Les heures se transforment en une sorte de dialogue silencieux entre l’arbre et la violette qui prennent le temps de s’apprivoiser.  L’amour de l’arbre est si entier que la petite fleur éprouve le besoin d’avancer lentement, alors même qu’elle voudrait lui hurler son amour et sa tendresse.

La petite violette ne s’est pas rendue compte, pas de suite, que son regard posé sur les autres fleurs, sur les oiseaux qui chantent dans les arbres, sur les chevreuils qui gambadent, et sur toute cette vie qui grouille autour d’elle, elle ne s’est pas rendue compte que son regard a changé.  La fleur, si minuscule, ne réalise pas encore qu’elle n’éprouve plus le besoin de se demander quel est le sens de sa vie et ce qu’elle fait là.

Depuis que l’arbre de vie lui a confié qu’il l’aimait, tout en elle est bouleversé.  Désormais, cet amour si intense que l’arbre lui transmet, elle le partage à son tour en discutant de n’importe quoi avec ses copines, en affairant sa vue quelque soit le point d’horizon sur lequel elle s’accroche.

Emplie d’amour de l’arbre de vie, osant l’aimer par touches successives à son tour, la petite violette est toute entière éprise par lui.

Cette joie débordante qu’elle vit au-dedans de son cœur microscopique finit par interpeller les autres violettes qui, elles aussi, comme contaminés, se remplissent de cette joie différente ;

et se laissent toucher, par cet amour, qui rejoint l'infini et l'absolu.

Savina


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