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A la recherche du paradis de Jean Delumeau, paru chez Fayard (critique)

Par Sumba

Virée au paradis



C’est bien connu : le bonheur n’a pas de prix. Pourtant, il n’a jamais autant fait recette. En boite, en sachet, à la carte… Aseptisé, il est proposé à chacun en l’échange d’espèces sonnantes et trébuchantes. A la lecture du dernier essai de Jean Delumeau, A la recherche du paradis, ce phénomène fait figure de résidu absurde d’une croyance millénaire à un bonheur parfait et éternel. Dans cet ouvrage, l’historien des mentalités retrace l’évolution des croyances relatives au paradis de leurs origines à nos jours. Il rend ainsi accessible au plus grand nombre le fruit de ses longues recherches sur le sujet, déjà mises en forme dans trois savants volumes écrits entre 1992 et 2000.



A la recherche du paradis de Jean Delumeau, paru chez Fayard (critique)

Jean Delumeau

De son apparition dans la Genèse à son effritement presque total au XIX ème siècle, la foi dans le paradis a constitué un pan majeur du sentiment religieux. Une oeuvre telle que celle de Jean Delumeau, consacrée à l’étude des conceptions et des représentations de l’au-delà, ne pouvait alors faire l’impasse sur ce sujet. D’autant plus que passé dans le langage courant, le paradis a fini par se vider complètement de son sens et de sa richesse originelle. La seule structure de l’essai reflète la complexité du thème abordé : ses deux grandes parties nous apprennent que de paradis il n’existe pas qu’un seul, mais plusieurs, et de natures tout à fait différentes.

Viennent d’abord ceux que l’on a tendance à oublier, à savoir « Les paradis sur terre », souvent occultés par « Le paradis dans l’au-delà » qui occupe les imaginaires contemporains et la seconde partie de l’ouvrage de Delumeau. C’est que la conception du paradis est intimement liée à l’avancée des connaissances scientifiques : une fois prouvée l’impossibilité d’un paradis terrestre en Orient, de nouvelles croyances se sont forgées de manière à ne pas mettre en cause la véracité du texte biblique. Ce tournant s’opère au XVI ème siècle, et marque une très nette inflexion dans le discours sur le paradis.

N’allons pas croire cependant à une progression de la rationalité ! Au royaume du prêtre Jean, aux différents millénarismes de la période précédente, répondent entre autres l’invention d’une hiérarchie du système céleste et d’un ciel intérieur, présent en chaque chrétien. Bien sûr, le positivisme et la laïcisation de la société ont jeté des soupçons sur l’existence du paradis, mais pas jusqu’à éliminer tout récit sur le « bonheur sans nuages » semblable à celui que connurent, paraît-il, Adam et Eve. C’est bien ce qui est le plus captivant dans l’essai de Jean Delumeau. L’acharnement à travers les siècles à croire en un ailleurs ou en un avenir meilleur ne peut que saisir le lecteur.

D’autant plus que cette tendance est loin d’être dénuée de résonances contemporaines. Ainsi que le pointe l’auteur à la fin de son livre, l’image d’un au-delà où règnerait l’harmonie et où la communication entre les êtres serait rétablie n’a jamais été plus répandue. Le paradis continue alors à être l’utopie des hommes impuissants sur terre. Que penser alors du socialisme, qui n’est autre qu’un dérivé moderne de l’espérance du paradis dans nos sociétés laïcisées ? Laissons les imaginations travailler, comme elles l’ont si bien fait depuis la naissance du paradis…



Jean Delumeau, A la recherche du paradis, Fayard, 386 p, 25

Article publié dans Témoignage chrétien le 06/01/10


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