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Du matérialisme du vin...

Par Daniel Sériot

Ces derniers temps, beaucoup de questions blogexistentielles ont fait courir les doigts sur les claviers : pourquoi écris-je ? où écris-je ? qu’écris-je ? où cours-je ? où vais-(r)1-je ?

A s’inquiéter de cette nouvelle forme d’écriture sur le vin, l’on peut à bon droit se demander ce qui pousse les amateurs à commenter leurs dégustations comme s’ils étaient redevables aux vignerons, de leurs plaisirs, de leurs rencontres…de leurs émotions au même titre que les professionnels.

Notre approche du vin telle qu’elle se manifeste par son écriture, en particulier via les forums, les blogs, un tantinet les réseaux sociaux, montre à quel point le matérialisme semble être la philosophie pré-essentielle à notre vision de l’échange et du monde du vin. Je m’explique.

Ecrire sur le vin est rétablir un processus de création de ce qu’on n’a plus. Le vin bu et apprécié n’existe plus. Il est potentiellement celui qui sera bu, qui sera partagé à nouveau, mais celui-là n’existe pas encore. En clair, nous parlons de vins qui n’existent pas. Il est un matériel conceptuel à partir duquel l’échange par le biais de l’écriture (mais ce peut être vrai par la verbalisation orale) vise la recréation.

Quel serait l’intérêt de cette recréation ? Pendant longtemps je l’avais associée au sensualisme d’une synesthésie qui fait fondre dans la bouche les mots que nous lisons. La madeleine de Proust, quoi. Revivre un moment de plaisir, vouloir l’éterniser au moyen de mots et d’impressions figées. L’une des réponses les plus récurrentes et lue ces derniers jours, concernant les questions de fond sur l’utilité du blog, du commentaire, est bien celle du plaisir retrouvé, voire suscité au moment même de l’écrit.

Mais, probablement il y a plus que cela. Un plus auquel il convient de réfléchir car il n’est pas toujours ou seulement à notre honneur.

Dans le processus de création, inévitablement projetons-nous ce qui nous fait défaut, ce qui nous manque, le miroir de nous-mêmes dans notre état d’incomplétude.

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Nous sommes bassement humains, n’est-ce pas ? Le quotidien se charge bien de nous rappeler que notre condition veut que nous soyons en butte à des espaces de vie et de temps limités, sauf si comme moi, vous êtes immortel, mais rares sont ceux qui ont ce privilège2.

Le vin que l’on a adoré, on le revit en projetant sur lui (selon la propre logique dans laquelle on s’est enfermé : contexte, sympathie, partage, émotion, amour) toute la dimension de nos impuissances. S’il est long, s’il s’éternise en bouche… il est la transfiguration de notre temps limité.

S’il est gourmand, rond, suave et en même temps d’une grande concentration, d’une grande force… il est la transfiguration de notre espace limité.

Notre savoir, étroit et nécessairement borné lui aussi, s’idéalise dans un vin complexe et infini.

Nous sommes – nous voulons être - ce que nous aimons boire…

Isabelle

(1)  : que je préfère à « dans quel état j’erre ? »… Objet parfois bien moins utile….

(2)  : Au fait !, elle nous a bien menti, Jacqueline de Romilly !


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