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Lire Salinger, malgré que...

Publié le 17 janvier 2011 par Petistspavs

Attrape_coeursL’attrape-coeurs de J. D. Salinger m'est toujours tombé des mains après 20 ou 30 pages.

En d'autres termes, le satané livre me tape sur le système because son parler à la noix et tout.

Une difficulté dans la lecture de livres d'origine étrangère est, bien sûr, la traduction. Autant certains traducteurs arrivent à trouver un équilibre, toujours légèrement instable, entre le style de l'auteur et les exigences de la langue d'arrivée, autant, soit parce qu'ils réécrivent, soit parce qu'ils partent de présupposés qui les aveuglent, ils nous proposent un produit dans lequel on a du mal à se reconnaître. Ainsi, il y a quelques lustres, je n'ai pu terminer un livre qui me semblait, par ailleurs, un des plus réussis de Richard Brautigan (Tokyo Montana Express), en raison d'expressions insupportables, tirées de ce que la langue française à la mode de l'époque avait de plus enflé.

La traduction de L'attrape-coeurs a été confiée à l'écrivain à la mode d'une autre époque Sébastien Japrisot. Me renseignant sur ce petit monsieur, qui n'a laissé de trace en littérature qu'anecdotique, je lis sur Fluctuat.net ceci, qui m'effraie un peu : "Bien que son niveau d'anglais soit scolaire, il commence à traduire plusieurs romans westerns de Clarence E. Mulford, afin de gagner sa vie. En 1953, il traduit même L'Attrape-Coeurs de J. D. Salinger". Donc, le petit monsieur a un niveau scolaire en anglais et notre problème est qu'il ne se rend compte à aucun moment (sauf mauvaise foi de sa part) que Salinger est un poisson trop gros pour sa ligne. Ceci d'ailleurs ne serait rien si le monsieur, futur auteur de l’immortel Long (très long) dimanche de fiançailles, se débrouillait en littérature française...

Tout le monde connait l'argument du Salinger, les errances d'un adolescent, Holden Caulfield, un peu paumé mais doté d'une langue consistante qui submerge tout, trois jours durant, seul dans New York. Et là, Japrisot a l'idée de sa vie : il va goinfrer le jeune Holden, d'un "parler adolescent". On est en 1953. Zazie n'est pas encore dans le métro, elle niche dans le ventre de sa mère, Raymond Queneau. Alors Japrisot rassemble tout ce qu'il a pu entendre chez les J 3, pas encore blousons noirs, plus vraiment apaches et met dans la bouche en coeur attrapé du pauvre Holden des expressions du genre "il me rend maboul", "c'était un coup de vache", "et tout le tremblement", "entouré de petzouilles" et "un type bougrement aimable (...) mais un type à la noix". Quand il jure, Holden s'écrie "Cré Nom de Dieu" ou "Cré nom du Christ", il dit "Vieux" tous les quatre mots, de ce "Vieux Thurmer" au "Vieil Ackley" et il ajoute "et tout" à toutes ses phrases.

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La grande difficulté du "traducteur" est : que faire du F... word ? En 1953, même si L'attrape-coeurs n'est pas vraiment un livre familial, pas question d'"écouter ces putain de programmes policiers"... Alors Japrisot brode et s'arrête souvent sur "saletés de...". On a donc droit à une "saleté de carte", une "saleté d'insinuation", une "saleté d'établissement", ces "saletés de fleurets" perdus, une "saleté de devoir d'anglais". On reste confondu devant la variété du vocabulaire popu de l'écrivain, notamment les centaines de saletés rencontrées. S'il n'y avait eu que moi pour voter, Japrisot aurait fini de baver avec les autres "saletés d'académiciens français" avec lesquels il aurait pu faire des ronds dans la cuvette des "saletés de toilettes" en y crachant sa saleté de langue française.

Cette fois, j'essaie de dépasser cette pollution académique pour atteindre la chair de ce roman que je pressens mortel pour mes vieilles convictions sur la littérature. Trois, au moins, de mes lecteurs (il s'agit de lectrices) se sont curieusement retrouvées autour de la dépouille de Salinger, ces derniers jours. Y-aurait-il un phénomène de mode ? Une nouvelle publication en poche ? UNE NOUVELLE TRADUCTION ? Ne me laissez pas dans l'expectative, dites-moi.

Quel dommage, il y a près de 60 ans de cela, que Boris Vian ou Jean-Paul Sartre, qui ont merveilleusement mis à notre disposition les textes de Chandler ou Faulkner, ne se soient pas intéressé à Salinger. Et qu'on ne mette pas la difficulté au crédit du petit monsieur. Traduire est toujours difficile, très difficile et certains s'en tirent très bien avec des textes d'une difficulté inouïe, comme Au dessous du volcan ou, dans l'autre sens, Madame Bovary.

Et si on lançait une pétition pour une traduction décente de L'attrape-coeur ? Qui signe avec moi ? Dites-moi. Et pourquoi pas des éditions bilingues des grands textes étrangers ?

ICI un article, avec interview, que j'avais trouvé passionnant, sur les difficultés de la traduction. Il s'agit de Madame Bovary (rien que ça) et de sa traductrice américaine, Lydia Davis. Fascinant. C'était dans Les inrocks en novembre dernier.


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