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Irénique Bordeaux…

Publié le 21 janvier 2008 par Philippe Thomas

Bordeaux, le 20 janvier 2008. 

Par temps d’élections municipales ou par temps ordinaire, le marché du Quai des Chartrons est un must de la vie bordelaise. C’est un endroit chicos et convivial tout à la fois, un très beau marché sans doute pas très bon marché, mais où l’on trouve tous les légumes bio qu’il faut pour le potage du soir. Même chez les poissonniers flotte le fumet délicat d’une vie sainement bourgeoise et un brin bohème. Chaque dimanche matin, l’on s’étire ainsi en patientes files d’attente où l’appétit des viscères s’apaise sous le baume des rêveries culinaires et des amabilités commerçantes conjuguées.

Là, on regarde moins à l’argent qu’aux paroles valorisantes qu’on échange de part et d’autre des étals. La sûreté de faire bonne chère rend le prix accessoire. On est naturellement entre gens de qualité et de produits frais. Les looks sont décontractés de bon goût. Les élégantes sont à croquer, classieuses et nonchalantes. Toute une amabilité urbaine ruisselle sur des poireaux qui semblent sortir d’une douche matutinale. Les fruits déploient le charme tranquille de leurs rondeurs parfumées… Non loin, les adeptes du footing brumisent leur sueur en gambadant sur le quai.

Moi, des fois, ça me fait du bien de voir qu’il y a tant de gens à fort pouvoir d’achat qui s’assument sous le soleil. Nos courses vivrières dans le sac, nous filons chez Cazaubon l’ostréiculteur après avoir ajouté le Sud Ouest et le JDD aux emplettes. Avec mon pote Mathieu, nous nous préparons, en attendant qu’une table se libère, au bonheur minuscule du dimanche matin : la douzaine d’huîtres et le verre de blanc qui va bien. C’est là qu’il faut être, chez cet excellent Cazaubon qui sort les huîtres de l’eau à 5 heures du mat’ et les achemine directement du village ostréicole de L’Herbe (Cap Ferret) pour satisfaire notre hédonisme.

Nous remarquons un groupe de tracteurs, hommes et femmes affichant la cinquantaine avenante, lodens ouverts et rouge à lèvres épanouis. Les tracts sont à l’effigie d’Alain Rousset, le candidat socialiste à la mairie, même si la Rose au poing est absente sur ce papier. Un de ces militants très BCBG m’explique que l’union est faite (« vous voyez, même Pierre Hurnic est avec nous cette fois », dit-il en me montrant le zigue), que Juppé est affaibli, que le coup est jouable, et que finalement l’élection se jouera à peu de voix et que la victoire sera essentiellement une question de communication… Un discours bien rôdé, dans un style classique et aimable. Je souhaite poliment au camarade un franc succès en mars. 

Et soudain Alain Rousset s’amène en personne, accompagné d’un ou deux acolytes. Les tracteurs rangent les tracts et s’agglutinent auprès de leur boss comme les ouvrières autour de la reine. « Bonjour Alain ! ». Rousset fait comme chez lui chez Cazaubon, il manie les verres et la bouteille avec dextérité, le groupe s’anime tout en le laissant bien visible. On croit reconnaître la tombeuse de Juppé aux législatives. Mais l’important, c’est qu’un maximum de chalands alentour voient bien que le candidat Rousset était là le dimanche matin aux Chartrons et qu’il y avait plein de gens qui parlaient avec lui. De fait, la quasi-totalité de ceux qui s’affichent autour de lui est constituée de l’équipe des tracteurs…

« Juppé est venu lui-aussi, tout à l’heure ! », nous explique joyeusement le patron en remettant nos verres à niveau. « Vous savez, ils ne se font pas de mal. Ils sont adversaires mais ils dînent régulièrement ensemble avec leurs épouses chez l’un ou chez l’autre. »  A Bordeaux, il se dit un peu partout en effet que l’actuelle répartition des rôles (Juppé maire de Bordeaux, Rousset président de la CUB) forme un équilibre qui convient aux deux Alain et à beaucoup de Bordelais…  Mais quand on parle du loup…

Sur le quai, côté joggers, un couple élégant s’approche de ses vélos accrochés à la rambarde : Alain Juppé et madame, en toute discrétion ! Tous deux  répartissent soigneusement leurs emplettes légumineuses dans les sacoches de leurs vélos. Un courtisan gravitant jusque là autour de l’autre Alain (Rousset) se précipite vers Juppé et entame une conversation, brève mais animée. Un jogger arrive en trottinant, reconnaît au passage le maire de Bordeaux et s’arrête juste le temps de lui serrer la main ainsi qu’à madame. Alain et Isabelle Juppé montent enfin sur leurs machines et se fondent en pédalant dans le trafic des joggers et cyclistes. Dans le même temps, Alain Rousset s’est éclipsé mais ses supporters traînent encore.

Nous commandons d’autres huîtres.


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