Magazine Culture

Le Rapport Stein (José Carlos Llop)

Publié le 19 janvier 2011 par Siheni
Le Rapport Stein (José Carlos Llop)
L'Espagne sous le règne du "généralissime". Un lieu clos : un collège jésuite. Le régime politique s'incarne ici jusque dans le règlement intérieur et ses rites obligés. Le lecteur est transporté dans une classe de jeunes adolescents parmi lesquels Pablo Ridorsa, le narrateur.
Quel événement - à plus forte raison extraordinaire - pourrait-il survenir là où il n'est rien, justement, qui ne vous préserve de l'imprévu ? La réponse semble déjà inscrite, comme le reste, dans l'épaisseur d'un silence unanime. Pourtant, cet événement auquel nul n'osait croire survient : l'arrivée d'un nouveau au milieu de l'année scolaire ! Cependant ce n'est pas l'apparition de Guillermo Stein qui est, en soi, extraordinaire. Non, c'est plutôt ce qu'il amène avec lui, un parfum de mystère. Maints détails inhabituels excitent la curiosité (tels ses vêtements qui ne ressemblent en rien à ceux des autres élèves, et la plaque de sa bicyclette, à côté du catadioptre du garde-boue arrière, une plaque ovale avec deux lettres noires sur fond blanc - C. D. - et un blason avec une devise en latin, des licornes et des fleurs de lis.). Or rien autant que la singularité ne bouleverse les esprits dans un monde régi par l'uniformité.
Qui est Stein ? D'où sort-il ? s'interroge celui qui ordonne qu'un rapport complet soit établi sur son compte et sur sa famille. Diverses rumeurs plus ou moins sulfureuses circulent en effet autour de son nom.
De l'Espagne de Franco, rien n'est dit évidemment de façon explicite : nommer, ce pourrait être prendre parti d'une manière ou d'une autre. Cela exige un apprentissage, et le narrateur ne l'a jamais suivi, et pour cause. Il n'empêche, c'est aussi de cette Espagne-là qu'il s'agit dans la confession brève (cent pages) que Pablo livre au lecteur : une Espagne grise malgré ses pimpantes couleurs s'y dessine peu à peu comme à son insu, à travers les faits dont il rend compte et ses interrogations, ordonnatrice des aventures individuelles : la sienne ou celle de Stein. Une menace diffuse, enfin, pesant comme son ombre portée sur les êtres et sur les choses, avec son corollaire inévitable : le soupçon. Un soupçon partout présent, frappant jusqu'à la réalité elle-même, du coup perçue comme un rêve, un cauchemar inconsolable (la mystérieuse disparition des parents de Pablo, à la suite de Dieu sait quelles représailles, en fournit une terrible illustration ; l'enfant ne recevra d'eux, dès lors, que les cartes postales qu'ils lui envoient du bout du monde - et qui, rassemblées à mesure telles les pièces d'un puzzle, finiront par recomposer à ses yeux leurs visages, comme si l'imagination pouvait suffire à apaiser sa frustration, en même temps qu'elles seront les compas à sa disposition pour l'aider à apprivoiser la cartographie d'un périple qui semble voué à ne jamais prendre fin).
Ce témoignage est d'autant plus poignant que la plume qui écrit est celle d'un jeune adolescent rompu au secret, d'un demi-orphelin abandonné sans remède à ses tourments et à ses questionnements. Ainsi, lorsque Stein serait à même de lever le voile sur ses secrets, consentir peut-être à l'amitié à laquelle Pablo aspire, sera-t-il trop tard. Le destin, pour l'un comme pour l'autre, aura déjà publié son décret. Définitif.
Demeurera cette poignée de souvenirs incomplets. Un amer constat avant même que Pablo n'accède à cet âge qu'on dit adulte : C'est peut-être ça, la vie, ne rien savoir de personne : ne rien savoir de personne, pas même de soi-même, et vivre comme si on savait.
Comme si les dés étaient pipés dès le départ, que la vie ne devait être et rester qu'une partition inachevée. Il est vrai, quand il tire ce constat, Pablo, qui a pourtant grandi depuis la première apparition de Guillermo, ignore encore ce que l'avenir lui réserve. De cet avenir, il ne s'ouvrira d'ailleurs qu'à la toute fin, et tout en n'ayant garde de s'y attarder plus que le temps de rassurer le lecteur qui aurait pu le croire aussi désarmé qu'au début ; pour cela, un paragraphe suffira. Il le fera à demi-mot, en somme, sans transgresser les règles que lui enseignaient ses maîtres d'autrefois. Sauf que désormais il parle d'amour, et c'est une heureuse promesse qui clôt cet admirable roman de formation.
Le rapport Stein
José Carlos Llop
Roman - 100 pages
Ed. Jacqueline Chambon


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Siheni 80 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazine