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Ultra moderne solitude

Par Benard

Le texte de théâtre est fait pour la représentation non pour la lecture. Mais il y a des exceptions. En ce moment jouée au théâtre du Rond-Point, la pièce de Christophe PelletLa Conférenceest un texte qui est aussi à lire, de même que les deux autres qui l’enserrent,Un doux reniementetLe Garçon avec les cheveux dans les yeux.

Le premier texte était une commande de France Culture. Il s’agit bien plus d’un récit que d’un texte de théâtre, il se lit comme une nouvelle. On y trouve l’histoire de Paul Fradontal qui se rend en train à la cérémonie funèbre de son amie/amante Lucie. Il fait bande à part, ne veut pas être pris dans la communauté des amis, il en a désormais horreur, de ces solitudes qui se réchauffent à l’esprit grégaire de notre espèce. Paul cherche autre chose, à fuir et à retrouver en même temps. C’est un texte d’une très grande beauté, beauté dépouillée, sobre.

Dans le second, le plus conséquent, le plus consistant, plus théâtral, Thomas Blaguernon est invité à donner une conférence sur le théâtre dans un théâtre. A l’instar de l’auteur lui-même, il habite à Berlin, il a fui à Berlin. Et on retrouve la même horreur de la communauté, la communauté théâtrale française, avec son esprit français, sa mauvaise foi française :

(Qu’est-ce que je dois faire de mon regard ? Qu’est-ce que je dois faire du regard des autres ? Faut-il mesurer son regard ? Regarder les gens droit dans les yeux, ou ne pas les regarder du tout ? Disparaître de leur regard en effaçant le mien ? Les happer dans mon regard ? Comment devons-nous regarder les gens ? Quelles limites ? Lorsque moi je regarde quelqu’un : je le regarde vraiment, de tout mon être vers tout son être. Est-ce que cela dérange ? Ne devrais-je pas faire disparaître mon regard ?)

On retrouve aussi dans ce texte, celle qui n’a pas supporté, qui a été écrasée par cette haine humaine, sournoise et française, Esther, l’amie qui ne parvenait pas à accepter le mauvais goût jusque dans la culture française, jusque dans le théâtre français, avec ses metteurs en scène, promus directeurs d’entreprises culturelles françaises par l’État français.

Le dernier texte est le plus théâtral, il est aussi le plus poétique. Une femme seule parle, entourée d’écrans, d’images. Elle s’adresse à un jeune homme qui finit par lui répondre, qui ne sera qu’une voix. Cette femme évoque le temps qui lui reste pour exister vraiment, être pleinement vivante, désirée encore :

Étrangers à nous-mêmes, on se précipite au-devant de ces corps dont on ne connaît rien et que l’on désire, de toutes nos forces, connaître. On se répand dans des villes, dans des pays, sur la planète entière. A peine nous sommes-nous répandus, dans ces villes, dans ces pays, sur cette planète, qu’on veut se cacher et fuir encore…

Ce petit livre de Christophe Pellet donne à voir et à ressentir toute la sensibilité d’un auteur authentique. La publication confidentielle de ces textes chez un éditeur spécialisé dans les publications théâtrales ne devrait pas empêcher les critiques de le lire et de le recommander. S’ils le font peu, c’est parce qu’ils sont pris dans cet esprit français que dénonce l’auteur, esprit de communauté s’il en est, grégaire pour partager la chaleur de quelques petits honneurs, donnés et rendus à des auteurs sans authenticité qui n’ont même pas parfois écrit ce qu’ils éditent – ce qui ne les empêche aucunement d’aller sur les plateaux télé faire la promotion du mensonge, de l’imposture, du mépris pour le lecteur.

Ce petit livre est déjà grand parce qu’il est honnête. Il s’adresse le plus simplement du monde à un lecteur ou une lectrice, rien de plus, juste de la littérature qui ne prétend à rien, préférant dire, approcher, ce qui peut-être ne va plus dans nos vies ultra modernes.

Christophe Pellet,Un doux reniement. La Conférence. Le Garçon avec les cheveux dans les yeux, Paris, éditions de l’Arche, 2008, 12,50 €.

Source :

http://www.mediapart.fr/club/edition/bookclub/article/220111/ultra-moderne-solitude


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