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Le furtif et le fugitif, Jacques Izoard (par Philippe di Meo)

Par Florence Trocmé

Le furtif et le fugitif 
Jacques Izoard 
par Philippe di Meo 

En dépit des anthologies, du murmure de si nombreuses lectures, des festivals et de la quantité de revues, établies ou confidentielles, il semblerait que l'histoire de la poésie française du second après-guerre doive encore être écrite si, par exemple, l'œuvre de Jacques Izoard demeure aujourd'hui encore méconnue mais, à cet égard, le cas Jude Stéfan n'en est pas moins significatif. Certes des listes de noms existent, mais les évaluations stylistiques et thématiques, les proportions et les hiérarchies laissent fortement à désirer. De ce point de vue, le travail de Jacques Izoard, né à Liège en 1936 et prématurément disparu en 2008, n'a rien à redouter. C'est même tout le contraire, dans sa génération, de par son originalité et son style,  il occupe bien sa place : à l'évidence l'une des toutes premières. 
Aussi, en attendant le Tome III des Œuvres complètes, auquel s'est attelé Gérald Purnelle, on se réjouira de l'attention que lui témoigne un petit éditeur de talent qui publie ses entretiens. Un entretien avorté de Louis Ferdinand Céline réalisé par le tout jeune homme mal aguerri intéressera comme la non moins désopilante incursion à bicyclette dans l'Albanie du sinistre Enver Hoxha. 
 
Le travail de fourmi de Gérald Purnelle nous livre, par ailleurs, plus 100 pages d'inédits dans le premier volet de son travail et 180 dans le second. Car Jacques Delmotte, Izoard en poésie - à cause de la sonorité du mot confiait-il et, peut-être également, du souvenir de ses inénarrables voyages à motocyclette de la Belgique où il est né vers cette Galice qu'il affectionnait - a de son vivant dispersé ses publications en une poussière de plaquettes, à l'occasion écrites à quatre mains avec Eugène Savitzkaya.  
Le critère chronologique retenu convainc. Les "notices" qui s'y ajoutent et l'"index", où l'auteur commente certaines allusions à des lieux ou à des personnes, élucide tel mot rare, constituent un outil précieux pour suivre le sillage d'un poète-né s'inscrivant spontanément, autrement dit sans calcul ni complaisante afféterie, dans la tradition rimbaldienne de l'"égarement" et de l'errance pour la renouveler de fond en comble. 
 
On apprendra ainsi le sens de quelques mots savoureux tels : drève, gayoûle, vinâve, botteresse tout en découvrant des noms de lieux si singuliers du Liégeois et d'ailleurs qu'ils se changent presque en personnages : Fond de cris, Hoût-si-Ploût, Ourthe, Sedia del papa. Aspect moins anecdotique qu'il n'y semblerait car dans la poésie de Jacques Izoard, la sensibilité phonico-symbolique occupe le centre de son phrasé. 
Séduit par les jeux de langage, la mécanique verbale des comptines et autres devinettes, et dont la plupart de ses recueils portent la trace indélébile, dès l'âge de 12 ans l'enfant choisira de consigner ses trouvailles dans un cahier. Un professeur de latin "peu indulgent" secondera et orientera cette inclination de ses bienveillants commentaires. Ses premiers poèmes paraissent en 1952 dans la revue Contact. Une série de voyages à Paris s'ensuivent. Le jeune homme entend rencontrer les poètes et les écrivains qu'il estime. Tour à tour, chacun à sa manière, Jules Supervielle, André Breton, Francis Ponge, Louis-Ferdinand Céline, Marcel Jouhandeau l'accueilleront. 
 
Ce manteau de pauvreté, sa première plaquette, est publiée en 1962 sous le pseudonyme d'Izoard, elle est préfacée par Paul Gilson. Plusieurs critiques en vue le remarquent parmi lesquels Alain Bosquet. Au fil du temps, plus de deux mille pages en vers et en prose suivront. Au reste, Jacques Izoard évolue avec une même aisance dans l'un ou l'autre genre. 
Son registre ? D'une part, une tradition verlaino-rimbaldienne et, de l'autre, un héritage d'ascendance plus ou moins surréaliste se laissent reconnaître, mais spontanément retranscrits selon des codes personnels, car toute démarche "culturaliste" est foncièrement étrangère à la façon d'être de l'homme et du poète, décidemment inséparables.  
Dans la proximité de la confidence diversement diserte et la distance d'un travail stylistique visant certaine proportion de sublime, le poète livre des pans entiers de sa biographie sur le mode rêveur. Et cela, au gré de ses vagabondages dans sa ville natale et à travers l'Europe, ou, plutôt et mieux, de l'espace. Corps et psyché vibrent à l'unisson selon les lois empathiques d'une effusion omniprésente. Spinoza n'est pas loin. Un désir de se fondre dans le paysage opère. Ces va-et-vient entêtés et entêtants du lieu au mot approprié sanctionnent une recherche verbale sensualiste, dans l'acception du mot la plus large, au plus près de la sensation intime des choses, des êtres et des lieux. Vu et vécu s'indifférencient inextricablement. Osmose perpétuelle, rarement titre n'aura mieux résumé l'œuvre de Jacques Izoard. Car "ce que la couleur dilue devient vertige" pour dire le "dégradé des couleurs". Dans ce dessein d'une cohérence stylistique et affective sans faille, chaque poème englobe toujours tous les autres. 
 
La nuance et la douce intensité - le Liégeois abomine le tonitruant, la pose et le théâtral, en un mot, l'inauthentique -  sont l'horizon de Jacques Izoard. Même s'ils ne sont vraisemblablement ni lus, ni à l'évidence connus, une parenté secrète semble relier l'œuvre du Belge à celle de l'Italien Sandro Penna. Essentiellement comme intentionnalité. 
Le furtif et le fugitif de la sensation pourraient peut-être à eux seuls caractériser cette démarche si attachante et si stylistiquement exigeante qu'on aimerait trouver les volumes évoqués sur les rayonnages de toutes les bibliothèques publiques ou privées de France et de Navarre.  
 
Philippe Di Meo 
 
 
Le premier bavard touche la fleur 
dont le parfum fend la langue 
d'un dormeur déjà voué au rêve. 
Et c'est l'été, l'hiver. 
Le linge très blanc touche encore 
la joue, la jambe, le bras. 
Linges liquides ou ténèbres. 

Dans ce vide où le bleu corrompt 
tout regard et tout vertige, 
dans ce vide où s'allument 
clartés de feuilles et de foins, 
dans ce vide très doux, 
le corps n'est qu'un désir 
qui cache sa propre mort

(Pavois du bleu
 
Les livres :
Osmose perpétuelle, entretiens, Atelier de l'Agneau, 77 p., 14 € 
Lettres et dédicaces à des amis, ,Atelier de l'agneau, 38 p. 12 € 
Poésie I, 1951-1978, sous le direction de Gérald Purnelle,  Editions de la Différence  845 p., 39 €,
Poésie II, 1979-2000, sous le direction de Gérald Purnelle, Editions de la Différence, 843 p., 39 €, 


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