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Le Livret A dans les remous

Publié le 23 janvier 2008 par Cabinetal

Le Livret A – spécialité française au moins aussi emblématique que la Tour Eiffel – fait l'objet de multiples attentions, discours, émotions aujourd'hui. Le récent rapport Camdessus sur ce sujet demande sa banalisation, d'ailleurs depuis longtemps objet de négociations à Bruxelles. Et voilà maintenant que c'est sa rémunération qui fait l'objet de tergiversation, avec un arbitrage final qu'on pourrait résumer par « un peu plus que s'il y en avait moins » ... Je vous propose de faire un point sur l'histoire de ce très curieux produit et les débats qu'il suscite. Et n'en déplaise aux intégristes du conservatisme, la banalisation du Livret A n'est pas la fin du financement du logement social mais peut être même tout le contraire !

L'origine du Livret A, c'est celle des Caisses d'Epargne, historiquement l'une des premières institutions financières françaises. Le XIXeme siècle a vu en effet se dessiner l'ébauche de notre actuel système bancaire : de nombreuses banques d'affaires aujourd'hui filiales de grands groupes bancaires voient le jour à cette époque ; le Crédit Lyonnais et la Société Générale, le CIC, les établissements qui deviendront la BNP Paribas naissent durant le Second Empire. Il reste que l'« offre bancaire » est à l'époque fort restreinte, visant principalement une clientèle aisée. C'est pour cette raison que certaines professions s'organisent, tels les agriculteurs qui, à la fin du XIXeme, créent ce qui sera l'ancêtre du Crédit Agricole et du Crédit Mutuel, sur un modèle raiffeisien (Raiffeisen était un allemand qui a « inventé » la banque mutualiste). Et puis, très tôt, il y a eu la Caisse d'Epargne ! Fondée en 1818 à Paris, elle appartient au trio des plus anciennes institutions financières françaises, après la Banque de France, créée en 1801 par Napoléon (et qui n'est devenue que progressivement la « Banque Centrale ») et la Caisse des Dépôts et Consignations créée en 1816 pour des missions d'intérêt général. Ses fondateurs sont prestigieux : le Duc de la Rochefoucault et Benjamin Delessert, ce dernier également connu pour l'invention du sucre de betterave.

L'organisation des Caisses d'Epargne est atypique : elles s'adressent aux gens modestes pour leur permettre de se constituer une épargne. J'ai eu un jour l'occasion de lire les statuts de la Caisse d'Epargne de Strasbourg : elle vise clairement les « domestiques » et les « manouvriers », même si très vite, l'institution va aussi toucher une partie plus aisée de la population. Bref ! Les Caisses d'Epargne illustrent parfaitement la formule de Guizot : « enrichissez vous par l'épargne et le travail ». Il y a chez les fondateurs l'affirmation d'un objectif social très fort qui conduit à une autre spécificité : la gestion est confiée à des notables qui assurent leurs fonctions bénévolement. En clair, le statut juridique des Caisses est quasiment celui d'une fondation, ce n'est que la loi de 1999 qui leur donnera celui de société coopérative à capital variable. Après un démarrage plutôt lent – il faudra attendre quasiment 1860 pour dépasser le million de Livrets A -, la diffusion du produit s'accélère. Avec la Caisse National de Prévoyance créée en 1881, celle de la Poste, qui est « l'autre » bénéficiaire du duopole de la distribution, ce sont même 8 Français sur 10 qui détiennent un Livret à la fin du XXème siècle.

Un des principes prudentiels de l'épargnant (certes pas toujours respecté, loin s'en faut) est de ne pas prendre de risque qu'il ne pourrait assumer. L'extrême modestie des clients des Caisses d'Epargne au XIXème siècle rend impossible tout investissement dans des entreprises. Il ne reste donc que le placement auprès du seul emprunteur jugé sans risque : l'Etat. A compter de 1829, les fonds issus de la collecte sont reversés moyennant intérêts au Trésor Public puis à la Caisse des Dépôts et Consignation en1837. Ce faisant, l'Etat prend désormais un ascendant sur la Caisse d'Epargne dont elles ne se déferont qu'à partir des années 1990. Et pendant des décennies, l'existence des Caisses d'Epargne tournera quasiment autour du seul Livret A, dont tout naturellement les fonds seront utilisés pour le logement social.

Pourtant depuis un quart de siècle, l'horizon du Livret A s'assombrit. Il y a eu la « loi bancaire » de 1984. En effet, jusqu'au milieu des années 80, le système bancaire français est un agencement de monopoles, de passe-droits et de privilèges, dont l'une des conséquences est de couter cher au consommateur faute de concurrence, et de couter cher au contribuable, car les bonifications d'intérêt en tout genre se multiplient. Cette loi bancaire a organisé notamment la concurrence en réduisant ces privilèges. A cet égard, l'évolution des Caisses d'Epargne a été spectaculaire. Notamment sous l'impulsion de son actuel Président, Charles Milhaud, « l'Ecureuil » n'a plus rien à envier à ses concurrents. Il est parfaitement prêt à affronter le XXIème siècle. La naissance, il y a quelques années, de la « Banque Postale » traduit également une adaptation tout aussi notable. Aussi, le monopole du Livret A s'est progressivement métamorphosé en archaïsme. Il est apparu tout d'abord de plus en plus nettement que la vocation sociale donnée à la collecte se télescopait avec la vocation de financement du logement social. En effet, si le Livret est « bien » rémunéré, ce sont les sociétés d'HLM qui en pâtissent, et si les taux faits à ces dernières sont intéressants, c'est l'épargnant qui en subit le contrecoup. Ainsi, les détenteurs du Livret A ont beaucoup perdu au cours des années 70 et 80. Lorsque le taux du Livret était à 8%, l'inflation était à 12 %. En clair, si au 1er janvier, 100 francs pris sur le Livret permettaient d'acheter 100 francs de marchandises, il n'en était plus ainsi au 31 décembre. Certes les 100 francs sur le Livret étaient devenus 108, mais les marchandises valaient 112. Il y a eu un alors un mécanisme de paupérisation des épargnants. C'est peut être pour cette raison que le Livret A a cessé d'être une épargne populaire. Les chiffres en trompe-l'oeil sur le taux de diffusion cachent des livrets trop souvent vides : à peine plus de 2% atteindrait le plafond. Ceux dont le solde est inférieur à 150 € représenteraient presque les 2/3 du stock détenu par la Banque Postale. Le Livret A représentait 16 % de l'épargne française en 1981 mais seulement 3 % au début des années 2000. Entre temps, une offre bancaire améliorée – concurrence oblige - et une meilleure information de la clientèle ont conduit à une plus grande diversification de l'épargne, pas forcément avec plus de risque. Enfin, le cout de gestion du Livret est élevé : l'équivalent de prés du tiers des intérêts versés ... Les taux offerts sur le marché monétaire depuis plusieurs années sont de ce fait plus avantageux. De plus la formule utilisée pour calculer la rémunération, un « mix » entre inflation et taux du marché monétaire, tous les 2 en hausse, donnait récemment un niveau tel que les sociétés d'HLM n'auraient pas suivi. Encore ce conflit entre des vocations sociales divergentes ! Michel Camdessus propose de « banaliser » ce Livret A, en réduisant ses couts de gestion. C'est surement une chance d'assurer la pérennité de ce produit essoufflé, à la forte image de marque mais à l'efficacité beaucoup plus limitée. En ratissant plus large et en associant les banques le distribuant à la collecte, le Livret A conservera ainsi son rôle de financement du logement social. Cette banalisation sera aussi l'occasion d'en terminer avec une pratique qui rompt l'égalité républicaine.

AB Galiani

PS : Question subsidiaire qui fera gagner à celui qui répondra juste toute mon estime : pourquoi et à quelle époque l'emblème de la Caisse d'Epargne, qui était une ruche, devient un écureuil ? (un indice : on peut dire d'une certaine façon qu'il y a réellement un de ces charmants sciuridés d'impliqué).


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