Magazine Cinéma

Parricide

Par La Trempe
  1978, Fingers, premier film du réalisateur/scénariste U.S. James Toback redonne vie à Harvey Keitel « le prince détrôné de Scorsese » (cf. who’s that), lui octroyant le droit de régner à nouveau au sommet de l’affiche d’un film de voyou italo-américain tourmenté, cinq ans après Mean Streets.  Et c’est de ce dernier film que Toback tire l’une des influences majeures de son scénario : dans Mean Streets le cœur de Keitel balance entre gang et religion, lorsque dans Fingers l’antithèse est remaniée en conflit « gang vs. J. S. Bach ». L’histoire? Le jeune Angelili joue les hommes de main et recouvreurs de dettes pour son père, et à ses heures perdues, pour relaxer ses phalanges meurtries, se prend pour un virtuose hors pair du Clavier bien tempéré. Si ce pitch ne vous rappelle rien, inutile de s’aventurer dans le verbiage qui suit. Fingers se plaît à jouer les gros bras dans le paysage du cinéma américain des années 70, avec Keitel le soliste aux beaux biceps se baladant dans New York, Ghetto-blaster sur les épaules, crachant du rock-Motown 60’s, faut-il y reconnaître une authentique figure iconoclaste ?   2005,  Fingers enfante De battre mon cœur s’est arrêté, du réalisateur Jacques Audiard. Oui, De battre est un remake, le remake d’une aventure oubliée du box-office américain, et du point de vue du scénario peu de choses ont bougé : quelques suppressions de séquences, des personnages supplémentaires,… Audiard reprend même certaines séquences de Fingers plan pour plan. Quel mérite pour le français d’exhumer un film US des années 70 qui semble avoir fait ses preuves par la force de ses images, des gouttes de sang qui s’écoule sur le Steinway du héros ? Audiard n’étant pas un simple « faiseur », force est d’imaginer que son remake ne s’inscrit pas dans l’intention de faire tourner la planche à billet. Assurément, face à l’évidente ingéniosité du scénario, on peut juger la mise en scène du film de Toback négligente, négligeable et négligée. A l’égal du père du héros, Fingers a trop fait la bringue avec tout le potentiel de mauvais goût poivré que pouvait renfermer le cinéma américain de la fin des années 70 et du début des 80’s (Toback n’a pas la séduction de Coppola), et par pêché d’excès, son cœur de battre s’est arrêté. Le film d’Audiard se distingue notamment de l’original, par l’environnement périphérique qu’il édifie autour du héros (ici Duris remplace Keitel). La pléiade de personnages secondaires gravitant autour du pianiste , lui adjuge justesse et authenticité, ce que Fingers loupe une trentaine d’années avant. Cet entourage se traduit par des personnages complètement effacés par rapport au protagoniste, traversant les épreuves de son quotidien tel une machine de guerre. Dans l’original, seul Keitel fait preuve de sincérité et de naturel, à l’inverse des figurants qui l’accompagnent, tous plus ancrés les uns que les autres dans des archétypes de personnages cinématographiques de l’époque: la fille de joie sentimentale, le mac noir body-buildé et toxicomane, le parrain déchu à la toux grasse,… Autant de mauvaises blagues évacuées dans De battre. En outre d’un choix des personnages et des acteurs plus pénétrant, Audiard s’accorde sur une mise en scène beaucoup plus crédible, insistant sur la relation que le héros entretient avec la musique, relation autrement plus spontanée et fragile que dans l’œuvre originale. Malgré tout, Fingers lègue certains de ses défauts passés à son remake, expressément dans le choix de l’actrice Aure Atika (l’amante du héros), qui ne respecte pas la profondeur psychologique des personnages  volontairement restreinte, et vient mettre en branle par son jeu la belle collection de second rôle qui compose l’ambiance si appréciable du film (heureusement Mélanie Laurent n’expose que sa plastique…).   2005, le film d’Audiard coupe court à la silencieuse agonie de son démiurge. A l’égard de la filmographie de Jacques Audiard, on relève la présence d’un leitmotiv : l’émancipation du fils, et la mort du père. A cette attention, De battre mon cœur s’est arrêté est son long métrage le plus explicite et le plus abouti. A la façon d’une « mise en abîmes extrinsèque », l’arrangement de Jacques Audiard se débarrasse avec doigté del’orchestration de son parent, tout comme le héros du scénario se libère des chaînes de son père.   Fingers, 1978-2005 R.I.P.

Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine