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Autoroutes : des profits à fond la caisse, grâce à l'Etat

Publié le 05 février 2011 par Letombe

Privatisées à vil prix, il y a cinq ans, les autoroutes se sont transformées en cash machine pour leur actionnaires, les géants du BTP. C'est un autre anniversaire qu'ils fêtent aujourd'hui. Il y a un an, sous couvert d'écologie, leur concession était prolongée d'un an. A la clé: deux milliards d'euros supplémentaires dans leurs poche, et une baisse de leur effectif. Un cas typique de greenbashing...



Autoroutes : des profits à fond la caisse, grâce à l'Etat

« C’est une bonne question ! » Tellement bonne que Jean Mesqui, le délégué général de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA) n’y répondra pas. Interrogé récemment par TF1 sur les bénéfices réalisés par les autoroutes désormais privatisées, il ne souhaitait visiblement rien dire.  Quelques jours plus tard, un porte-parole de l’ASFA opposera le même refus à Marianne.


Qu’importe ! Selon nos informations et nos calculs, nous pouvons révéler ce que l’ASFA cherche tant à cacher : sur 10 euros payés par un automobiliste lors de son passage au péage, 1,4 va dans les poches des actionnaires. 14%. Un taux de profit en hausse d’un point par rapport à 2005, lorsque l’ASFA communiquait encore sur la rentabilité. Avant la privatisation… 

 

Pourquoi cette soudaine pudeur des émirs du bitume ? La réponse tient dans ce chiffre, que Marianne a calculé à partir, notamment, des documents officiels des sociétés, comme Vinci, Eiffage, ou l’espagnole Albertis: 1,3 milliard d’euros de profits en 2009.  Difficile d’assumer, sans rougir, ce gros milliard, quand la récession rogne le pouvoir d’achat des Français. Délicat également de justifier la politique qui a permis un tel résultat : le prix moyen du kilomètre facturé à l’automobiliste est passé de 10,13 centimes en 2005 à 11,30 centimes en 2009 (derniers chiffres disponibles). Résultat: le ticket de péage affiche une progression de 11,5% en quatre ans, presque deux fois plus rapide que celle de l’inflation, légèrement supérieure à 6 % sur la même période. 

 

Le ticket n’est pas le seul levier sur lequel les sociétés ont joué pour faire carburer leur rentabilité. Dans le même temps, elles ont massivement dégraissé leur personnel. Depuis la privatisation, l’effectif total du secteur a fondu de 10 %, pour se situer légèrement au-dessus des 16 000 salariés. Moins de personnel, donc moins de coût, conjugués à des tarifs en hausse : sans surprise, le bénéfice réalisé sur chaque kilomètre facturé s’est amélioré de 20 %, entre 2005 et 2009 pour atteindre 1,58 centimes. Et comme le trafic a continué d’augmenter durant cette période, le bénéfice total des sociétés d’autoroutes a fait un bond en avant de 30 % ! 


1,58 centimes de bénéf sur chaque kilomètre

Ventilation d'un ticket de péage à 10 euros. (source: ASFA, calculs Marianne)
Ventilation d'un ticket de péage à 10 euros. (source: ASFA, calculs Marianne)

De quoi expliquer le mutisme embarrassé de l’AFSA,  quelques jours avant la nouvelle hausse des tarifs des péages, effective depuis le 1er fevrier : + 2,24 % en moyenne. Déroutante litanie de chiffres, dont on comprend que leur révélation risque de faire crisser les dents des automobilistes….  

 

Comme celles de tous les Français, d’ailleurs, car, depuis 2005, la privatisation des autoroutes va de scandale en scandale. A commencer par le prix de leur cession - 14,8 milliards d’euros - alors dénoncé par Marianne.  « Mon client était alors prêt à payer 40% de plus pour s’offrir APRR », les autoroutes Paris-Rhin-Rhône, nous confiait le banquier Bernard Migus. Le client de cet influent banquier, patron de la banque d’affaire Ixis ? Eiffage, le groupe de BTP qui, avec son partenaire australien Macquarie, s’est finalement offert les 2 240 km de la société APRR. Voilà de quoi corroborer l’évaluation de la Cour des Comptes du véritable prix des ces « bijoux de famille » : 22 milliards d’euros. Loin des 14,8 milliards d’euros demandés par le gouvernement Villepin.

 

Emmanuel Lévy - Marianne


L'escroquerie du «verdissement des autoroutes»: un cadeau de 2 milliards d'euros...

Merci Dominique ! Mais merci également Jean-Louis… Car, fin 2009, le ministre de l’Ecologie et des Transports, Jean-Louis Borloo a fait, discrètement,  un joli cadeau aux sociétés d’autoroutes en prolongeant d’un an la durée de leur concession, qui courent, selon les cas, jusqu’aux alentours de 2030.  Un an de plus, c’est autant de profits garantis, de l’ordre de deux milliards. Il y a bien sûr une contrepartie : les sociétés se sont engagés à investir un milliard d’euros en faveur de l’environnement au cours des trois prochaines années. 

 

Mais l’examen attentif des dépenses de ce « paquet vert » éclaire la véritable nature de l’accord. Seuls 3% des sommes prévues sont destinées à la sauvegarde de la biodiversité, le reste relevant d’un contrat léonin, qui chouchoute les intérêts des autoroutes. « On a rien vu de ce tour de passe-passe », se désole un député socialiste,  membre de la Commission des finances de l’Assemblée.  

 

Ainsi, sous couvert de réduire les bouchons aux péages, qui sont responsables d’émission de gaz à effet de serre, les autoroutiers ont prévu d’investir 800 millions dans des portiques automatiques. Vinci Autoroutes va par exemple, créer 172 voies sans arrêt, à raison de 3,3 millions d’euros pièce, ces équipements mangeront 84 % de l’enveloppe verte de Vinci Autoroutes. Cette automatisation, rendue possible grâce au télépéage, permet surtout de réduire les emplois et d’augmenter le rendement des autoroutes. « On a demandé à l’Etat de subventionner des pertes d’emplois. Pire, le personnel remplacé par les portiques est parti en préretraite, à moitié pris en charge par l’Etat ! », s’emporte Bernard Jean coordinateur CGT de la branche.  

Le reste de l’enveloppe du « paquet vert » est à l’avenant. Sanef (filiale d’Albertis) s’engage ainsi à la création d’un  « écopôle », en clair un nouveau bâtiment regroupant ses services techniques, mais qui sera, c’est bien le moins, labelisé haute qualité environnementale. 

 

Il y a mieux : 200 millions d’euros ne sont pas détaillés dans l’accord. Et pour cause, « écologiquement, ça n’est pas très parlant », finit par lâcher l’ASFA. De quoi s’agit-il ? De programmes visant à fluidifier la circulation. Autrement dit, des systèmes d’informations qui, sur la base du calcul de la vitesse optimale du trafic, informent les automobilistes. Une circulation plus fluide, c’est certes du CO2 en moins, mais surtout du trafic en plus !


...plus de rentabilité pour ces cash machine

Bref, autant d’investissements qui, sous couvert d’écologie, vont en réalité booster les comptes d’exploitation des sociétés d’autoroutes. Voilà qui rapproche d’autant la date  – sévèrement tenue secrète par les intéressés – à partir de laquelle, leurs emprunts ayant été remboursés, l’essentiel du péage ira directement dans la poche des actionnaires. « Nous estimons que pour ASF, dès 2028, la quasi totalité des emprunts aura été remboursée », explique-t-on à la CGT. Avec la prolongation de la concession d’un an obtenue l’année derniére, Vinci ne devra rendre les 2 700 kilométres de bitume à l’Etat qu’en 2033. La cash machine tournera donc à plein pendant 5 ans. 

On comprend dés lors que les BTPistes veuillent garder pour eux seuls la manne. Depuis la privatisation, ils n’ont eu de cesse de sortir les sociétés d’autoroutes de la cotation boursière. Dès l’opération finalisée, Vinci rafle le maigre flottant (en fait les actions éparpillées lors de l’ouverture du capital d’ASF sous le gouvernement Jospin). Seul maître à bord, une fois acquis les 100% d’ASF, Vinci alors dirigé par Antoine Zacharias, ne tardera pas à se verser un dividende exceptionnel de 3,3 milliards d’euros, le tout financé par un endettement massif d’ASF. C’est cette opération hyper rentable pour Vinci qui pousse Antoine Zaccharias à la faute. Certain de son bon droit, en tout cas d’avoir enrichie ses actionnaires, le patron demandera une prime de 8 millions d’euros, la demande de trop qui lui coûtera son poste. 

Triple bénéfice pour cette sortie de la bourse: primo la totalité des résultats de la manne autoroutière irrigue les comptes de leur proprio ; secundo la sortie de la cotation en bourse évite l’obligation de publier des informations détaillées sur les comptes ; tertio, en maintenant un fort endettement de leur filiale les BTPistes jouent à plein l’effet levier financier et fiscal.  

Pas question donc de partager, ni d’exhiber en dehors des présentations officielles devant les analystes l’incroyable puits de pétrole dont ils ont les robinets.  

Les voilà gagnants sur tous les plans : ils ont acheté les autoroutes à un prix sous-évalué et ont obtenu une prolongation de leur concession dont ils tireront des bénéfices leur permettant de réduire leurs dépenses de personnel... 

Pour se refaire, Bercy a, un temps, envisagé d'augmenter les taxes sur les autoroutes. Dans la loi de finance initiale pour 2009, la redevance domaniale, que doivent acquitter ces entreprises occupant le domaine public, devait  passait de 170 millions d'euros à 475 millions, soit une hausse de 280 %. Raté. L'intense lobbying des émirs du bitume a eut raison de cette initiative. C'est pourtant sur le dos d'une autre taxe que les autoroutiers mettent une partie (0,3%) de l'augmentation de 2,4% de leur tarif. Pas question en effet de toucher à leur précieux résultats. 

Emmanuel Lévy - Marianne

http://www.marianne2.fr/


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