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Le temps des reprises

Par Borokoff

Parfois, les sorties cinéma suscitent aussi peu d’enthousiasme qu’elles donnent envie de retourner voir des films plus anciens. Dans la pléthore des reprises parisiennes, deux films se distinguent particulièrement : De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites réalisé par Paul Newman et sorti en 1972 et Man Hunt (1941) de Fritz Lang. Deux films aux copies neuves et restaurés, aussi différents qu’inoubliables.

Le temps des reprises

De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites est le troisième film en tant que réalisateur de Paul Newman. Adaptation d’une pièce éponyme (1971) de Paul Zindel (pour laquelle il reçut le Prix Pulitzer), le film met en scène la vie de Béatrice (jouée par Joanne Woodward), une veuve quadragénaire excentrique à l’humour ravageur. Mais les frasques de cette femme au caractère bien trempé ne sont pas forcément au goût de ses deux filles, dont l’aînée, très extravertie, n’en est pas moins en pleine crise d’adolescence tandis que la plus jeune est très réservée. Ces deux filles partagent le sentiment d’être malheureuses pour leur mère.

En prise avec l’alcool, Béatrice est paumée et en pleine dépression. Elle aime ses filles mais agit comme une femme immature et désespérée. Ses excentricités quotidiennes, sa réputation désastreuse au collège, si elles font rire ses filles comme le spectateur par moments, l’éloignent de plus en plus d’elles dans le fond. C’est que Béatrice a le comportement d’une enfant de quinze ans, capricieuse et égoïste. Certes, son humour cinglant et ses remarques à couper au couteau (« J’ai une fille demi-folle, l’autre à moitié éprouvette, de la merde de lapin partout, une vieille à moitié crevée ») font rire au début mais Béatrice est un personnage qui dans son évolution, ne change pas ni ne se remet en question. En multipliant les excès (dont l’alcool et ses scandales au collège), elle s’isole de plus en plus. Son humour prend alors un goût d’amer. C’est que Béatrice ne s’arrête jamais, pas même pour voir la peine dans les yeux de ses filles. Et même s’il faut reconnaitre le courage que cette femme a eu pour élever ses filles seules, son retour à la réalité n’en sera que plus dur et douloureux.

Ce portrait de femme très charismatique et affirmée (superbe Joanne Woodward) est un des plus beaux et des plus émouvants au cinéma. C’est un film très maitrisé, sobre dans sa mise en scène. Newman filme cette famille de l’intérieur et cette femme sans jamais la juger. Avec toute l’attention portée à ses trois actrices, son regard est celui d’un observateur attentif, plein d’attentions même, de compassion devant la détresse d’une femme seule et qui est allée trop loin. La manière dont Woodward incarne ce personnage un peu marginal et devenu à moitié fou est bouleversante. On note les sublimes tenues rouges et les chapeaux à dentelle et à fleurs de Béatrice, un personnage qui rappelle la Gloria de Cassavetes.

Le temps des reprises

Dans un style très différent et une époque plus lointaine, Man Hunt de Fritz Lang est un superbe film d’espionnage en noir et blanc qui a influencé plusieurs générations de cinéastes et des héros célèbres de films. Man Hunt et De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites partagent leur irrésistible humour et sens de l’ironie grinçants. En 1939, un capitaine anglais, Horndyke (Walter Pidgeon) est infiltré en Bavière pour tuer Hitler. Mais au moment même où il va tirer sur le führer, il se fait surprendre  et arrêter par un garde allemand…

Nous sommes peu avant le début de la seconde guerre mondiale. Horndyke est un capitaine plein de bravoure, pétri d’humanisme, de valeurs morales. et guidé par le Bien. Parvenu à échapper aux sbires d’Hitler après avoir été torturé, Horndyke s’est réfugié en Angleterre. Mais les espions nazis, déguisés en Anglais, sont à sa poursuite, qui le traquent inlassablement, avec l’abominable Mr Jones (John Carradine, père de David) et le non moins effrayant Major Quive-smith (George Sanders). Horndyke se réfugie chez une prostituée, Jerry (Joan Bennett) qui tombe amoureuse de

Man Hunt a parfois l’air décousu avec son scénario à la limite du vraisemblable (Horndyke réfugié dans un terrier de renard pour échapper aux Allemands). Mais il est plein d’humour et remarquable pour le jeu de ses acteurs (Pidgeon et Carradine en tête). Man Hunt mélange avec finesse les genres. C’est un film d’espionnage et de suspense mais aussi une histoire d’amour tragique à sens unique. Fritz Lang a l’art de dire les choses sans les nommer, avec un art inimitable de la suggestion et de l’ironie. Par exemple, jamais il n’est dit explicitement que Jerry est une prostituée. Mais on le devine. Hormis une fin un peu grotesque, le suspense tient bien la route et la scène de course-poursuite dans le métro est inoubliable. A tel point que Fritz Lang apparait comme un pionnier du genre.

C’est amusant d’imaginer à quel point Man Hunt a pu marquer un cinéaste comme Godard. A bout de souffle en semble parfois tout droit sorti. Mais le personnage lui-même d’espion anglais, Horndyke, n’est-il pas le père des James Bond ? La scène du métro londonien renvoie directement à une autre de Meurs un autre jour et ces méchants au monocle et à l’épée cachée dans une canne à ceux de la célèbre série des 007. Une des dernières scènes de Man Hunt, où Horndyke, terré dans son trou, fabrique un arc avec une latte de lit et une broche en forme de flèche, pourrait même faire penser que le film a inspiré le créateur des MacGyver.

Quant au personnage du Nazi joué par le charismatique John Carradine, il vaut à lui seul le déplacement. Même si avec le recul, Man Hunt parait parfois un peu sec et moraliste.


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