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Les chaussons noirs (portait de l’artiste en danseuse démiurgique)

Par Borokoff

A propos de Black Swan de Darren Aronofsky 3 out of 5 stars

Les chaussons noirs (portait de l’artiste en danseuse démiurgique)

Dans la troupe du New-York Ballet, Nina est une jeune danseuse ambitieuse prête à tout pour obtenir le premier rôle dans le nouveau spectacle du chorégraphe Thomas, reprise « décapante » de Le lac des Cygnes de Tchaïkovski. Mais elle doit faire face à la concurrence acharnée d’une nouvelle recrue très talentueuse, Lily, et à ses propres démons…

Basé sur un scénario original de Andres Heinz (The Understudy), Black Swan est un film très viscéral, très organique, joué par une Natalie Portman (Lily) bouleversante et qui jamais peut-être n’avait atteint un tel niveau de jeu, portant son personnage jusqu’à l’incandescence.

Reprenant la trame (mais pas la poésie) de Les chaussons rouges de Powell et Pressburger (1948), même si Aronofsky jure n’avoir vu le film qu’après avoir terminé le film, Black Swan décrit la trajectoire tragique d’une danseuse aussi douée que torturée. Minée par le désir obsessionnel d’être « parfaite », Nina a toujours vécue sous cloche, conditionnée par une mère étouffante avec qui elle partage son appartement et qui lui voue un véritable culte, elle-même ancienne danseuse de ballet à la carrière mineure avortée (elle préfère dire à sa fille qu’elle s’est sacrifiée pour l’avoir).

Au début, son épaule égratignée laisse penser que Nina, devant la pression qui l’entoure mais qu’elle se met aussi, est victime de « tocs ». Mais très vite, la jeune danseuse, qui a été choisie comme premier rôle pour incarner Odette dans Le lac des cygnes, a des hallucinations et pense croiser son double dans le métro, sa salle de bains, etc… Beth (Winona Ryder), renvoyée de la compagnie à cause de son âge, est un personnage qui hante le film. Noyée dans le chagrin, auto-destructrice, il annonce avec brio la tragédie à venir.

A l’image de son personnage dual d’Odette (cygne noir/cygne blanc) dans Le lac des cygnes, Nina est rongéée par un double maléfique qui l’entraine dans des abysses de plus en plus obscurs et effrayants. Vertigineux Ténèbres. C’est que l’angoisse et la peur de mal faire dont souffrent Nina la conduisent à la névrose, la skyzophrène et la paranoïa, Nina étant persuadée que Lily (Mila Kunis) ne pense qu’à lui piquer son rôle, ce qui est vrai mais en partie.

Portrait d’une jeune femme prise dans l’enfer du monde de la danse classique et la pression trop grande qu’elle subit mais à laquelle participent ses concurrentes, sa mère et son chorégraphe, Black Swan est filmé caméra à l’épaule, au plus près du visage et des mouvements de Portman. C’est un film tout en sensations, où l’on lit sur le visage de Nina tour à tour la crispation, l’angoisse avant la joie soudain et une libération paradoxalement fatidiques.

Ce portrait tout en émotions d’une danseuse dont le rêve se réalise enfin en même qu’il se brise a un revers. C’est-à-dire que si l’on admire la beauté et le jeu très incarné de Portman (plus que jamais candidate à l’oscar), si l’on reconnait la force brute qui se dégage du film (et qui était un peu la même que celle émanant du personnage de Rourke dans The Wrestler), on peut regretter aussi le manque de recul de Black swan. De recul et de nuances.

Black swan ne prétend certes pas être une réflexion sur le monde cruel du ballet et la concurrence impitoyable qui s’y exerce, mais Thomas (Vincent Cassel) n’est-il pas l’archétype du chorégraphe tyrannique et « macho » qui couche avec ses danseuses qu’il surnomme « ma princesse » en même temps qu’il les remplace selon leur date de péremption ? Il y a avait plus à creuser dans la perversité de ce personnage comme dans le côté retors et pour le moins ambigu de Lily.

La mère de Nina vénère sa fille, mais la chambre remplie de peluches énormes suffisait pour montrer que Nina n’a pas eu l’opportunité de grandir mais qu’elle est restée dans l’adolescence. Or, le scénario en remet une couche et pour montrer que cette mère est bien une mère castratrice, la montre peignant à longueur de journée des portraits de sa fille.

Si ces visions en noir et blanc (de la décoration de l’appartement de Thomas aux deux cygnes, du double habillé en noir que Nina croise le soir dans le métro aux décors à la fin du spectacle) ont quelque chose d’un peu trop littéral, on en revient toujours à l’admirable composition de Natalie Portman en artiste rongée par la folie. Elle livre là une prestation inoubliable.

www.youtube.com/watch?v=b0O5cehYV0U


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