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Indignons-nous ? Ou la critique du livre de Stéphane Hessel.

Publié le 16 février 2011 par Vindex @BloggActualite
Indignons-nous ? Ou la critique du livre de Stéphane Hessel.

C’est, semble t-il, à la vue de l’écho médiatique qu’il a reçu, l’événement littéraire de la fin d’année 2010 : le livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous (Pour une insurrection pacifique) » a en effet fait l’objet de bon nombre de réactions, et nul doute qu’il a déjà remporté un certain succès commercial, et probablement quelque peu littéraire.

Il faut dire que dans sa globalité, et à première vue, le livre à tout pour conquérir le plus grand nombre : format a minima (une trentaine de pages), prix dérisoire (3€), titre accrocheur aux allures de manifeste politique. Bref, tous les ingrédients sont réunis.

Mais outre cette seule dimension, il nous faut découvrir le message que l’auteur a voulu passer, et surtout, en faire le commentaire.

Qui est Stéphane Hessel ?

Né en Allemagne en 1917, Stéphane Hessel fut résistant durant la seconde guerre mondiale, (alors qu’il avait auparavant obtenu la nationalité française, en 1937), puis déporté sous l’Allemagne Nazie. Il a fait partie du conseil national de la résistance en 1946. Outre son engagement politique auprès de ce conseil national (et de ses proches connaissances des milieux politiques de gauche), il fut également très investi dans la propagation et la sauvegarde des droits de l’homme, et fut également diplomate français. Il a écrit 4 ouvrages avant « Indignez-vous ».

Résumé

Le message de l’auteur est bref : dans une société du progrès, du confort, le tout sur fond de libéralisme mondialisé, Stéphane Hessel invite le lecteur à s’indigner, lui « fournissant » pour ce faire divers prétextes qu’il juge à même de provoquer un émoi nécessaire à l’engagement politique ou militant.

Pour commencer, il rappelle ce qui fut à la base de ses premiers engagements dans ce domaine (le Conseil National de la Résistance) ainsi que les grandes idées qu’il défendait au sortir de la 2nde Guerre Mondiale (une économie fondée sur la solidarité nationale, et la construction d’une paix durable notamment), et en explique quelque peu les contours, rappelant le contexte de la résistance, qui, selon lui, constitue un bel exemple de ce que peu constituer l’indignation.

Passé cette illustration, l’auteur nous évoque deux visions différentes de l’histoire, l’une tendant à un progrès constant qui doit, à terme, provoquer la liberté complète de l’homme au sein d’une démocratie idéale, et l’autre, voyant dans le progrès une tempête, un cheminement irrésistible de catastrophes en catastrophes. Inutile de préciser qu’il tend à privilégier cette première (se rapprochant ainsi d’une vision hégénialiste de l’histoire), qui a le mérite d’être en cohérence avec son indignation : en effet, pourquoi s’indigner dès lors que l’on sait que le sens de l’histoire n’est pas de tendre vers l’idéal que l’on défend ?

Ensuite, Stéphane Hessel critique l’indifférence, qu’il juge être la pire des attitudes, et tente alors de fournir au lecteur un motif d’indignation propre à fonder un engagement, une action, une vocation (la pauvreté dans le monde, les droits de l’homme).

Il se fait également le défenseur de la Palestine, par le biais d’un réquisitoire assez clair à l’encontre des agissements israéliens au Proche-Orient, évoquant l’emprisonnement d’un million et demi de palestiniens dans la bande de Gaza, ou encore l’opération « Plomb Durci ».

Après avoir cité ce conflit, il en vient à proposer, voire exalter, l’idée de non-violence comme démarche à suivre pour aller vers plus de paix à travers le monde, et sous-tendant une insurrection pacifique comme forme d’action de cet engagement pour la paix ou encore d’autres valeurs décrites dans ce livre.

Critique

L’objectif de ce livre est sans doute louable : il s’agit de faire réagir le lecteur sur les évènements qui font le quotidien de notre planète, et, sinon de lui inculquer la soif d’action, à tout le moins, certainement, de lui apporter un regard critique sur la société mondiale telle qu’elle se présente aujourd’hui à nous.

Il n’en est pas moins qu’à bien des égards, le livre n’est pas à la hauteur du succès qu’il a pourtant connu.

Une forme sans cohérence

Stéphane Hessel a la plume hasardeuse : son manifeste manque clairement de structuration, d’un fil conducteur (si ce n’est cette vague notion d’indignation) lui permettant de se livrer à une critique constructive, ou même ayant valeur de proposition. Les sujets sont trop divers, manquent de lien entre eux, de développement et des éléments essentiels qui constituent une dialectique efficace : peu d’introduction, peu d’arguments, peu de constats, trop de déclarations d’intentions, des conclusions trop vagues.

De même, les sujets évoqués se retrouvent dans divers développements (c’est le cas par exemple du contexte de la 2nde Guerre Mondiale et des thèmes qui lui sont proches, qui se retrouvent dans 3 développements successifs dénomés différements) ce qui démontre d’une réflexion décousue, vague, trop étendue.

Aussi, le second motif d’indignation montré en exemple (page 15) s’évade (après une phrase) dans des considérations personnelles.

Enfin, la fin du chapitre sur le motif de la résistance (qui est selon lui l’indignation), en quelque sorte sa conclusion sur ce developpement, constitue en fait le premier paragraphe (pages 12-13) du chapitre sur les deux visions de l’histoire.

Le livre, en sa forme donc, démontre d’une faible structuration, ce qui dessert grandement la clareté du message d’indignation adressé par l’auteur.

Et comme le disait si justement Victor Hugo, « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ».

Un fond insuffisant

Le fond de cet ouvrage est tout aussi pauvre.

Ainsi, les multiples exemples avancés pour s’indigner ne reçoivent pas le moindre développement : les motifs d’indignation sont pourtant bien présents en grand nombre (la situation au Proche-Orient, la pauvreté dans le monde, la manipulation des médias, la vision des étrangers, le pouvoir de l’argent, …) mais l’auteur ne leur accorde aucun développement quant aux faits (hormis l’exemple de la Palestine), ce qui a pour effet de perdre le lecteur dans les illustrations sans pour autant lui fournir un motif bien constitué d’indignation (ce qui, pourtant, est l’objectif du livre). Le chapitre sur l’indifférence démontre bien de ce manque criant de fond : alors qu’il est censé trouver pour le lecteur divers motifs d’indignation, le premier est expédié en 5 lignes, le second se perd dans son expérience personnelle passé la première phrase.

Ces divers phénomènes que dépeint l’auteur méritent pourtant un développement des plus conséquents, surtout du fait que Stéphane Hessel est censé, de part cet ouvrage, susciter chez le lecteur une envie d’indignation qu’il dit nécessaire à l’engagement pour une cause ou pour une autre, mais bon nombre de questions restent en suspens : quel mode d’action adopter (l’insurrection pacifique, certes, mais sous quelle forme, quelles actions concrètes), comment apporter son indignation personnelle dans un mouvement tout en gardant une certaine cohérence dans les idées et dans les propositions, quels moyens mettre en œuvre ? Outre le manque de fonds quand aux faits, l’auteur ne livre aucune piste de réflexion et de concrétisation des idées d’indignation qu’il veut provoquer.

Une indignation subjective

Un ouvrage, un manifeste [qui plus est sans grand développement] ne peut-être objectif, mais il faut ajouter à cette observation le fait que Stéphane Hessel multiplie les réflexes sentimentaux, qui sont quant à eux difficilement critiquables, mais qui n’en constituent pas pour autant des excuses aux insuffisances du livre.

Dans un premier temps, il faut bien dire que la plupart des motifs d’indignation dont parlent Monsieur Hessel sont grandement teintés d’idéologie (à part, peut-être, le sujet sur la Palestine, quoique celui-ci reste un sujet important de discorde) : mais comment s’indigner de la situation des Rroms, de l’Etat des droits de l’homme ou de la planète, ou encore de ce qu’il reste de l’idéal prôné par le CNR, quand le lecteur est en désaccord avec l’auteur, lequel n’essaye presque jamais de convaincre celui qu’il veut toucher de la justesse de ses idées ou au moins de la nécessité d’un engagement concernant ces causes ? Comment tirer de ces préconçus (voire ces lieux-communs par moment, sur fond de manichéisme) lancés sans argumentation un quelconque résultat propre à provoquer cette insurrection pacifique ? La réponse est claire : l’effet escompté est bien maigre, mais tout autant, à vrai dire, que le travail effectué.

Ensuite, il est nécessaire de relativiser la portée critique de Stéphane Hessel.

Celui-ci nous rappelle son passé [sans doute glorieux] relatif aux actions auxquelles il a participé durant la 2nde Guerre Mondiale. Mais il faut préciser que l’époque en question est bien différente de la nôtre. En effet, lors de ses premiers engagements, les motifs d’indignation sont bien plus intenses et touchent bien plus concrètement, d’une manière bien plus proche la société d’alors (la lutte pour la liberté, contre l’occupant, contre son idéologie), favorisant plus aisément l’engagement militant (même si celui-ci était bien plus dangereux) car l’enjeux était bien plus important, et plus vivement ressenti. De plus, le monde actuel est plus complexe qu’à l’époque : les enjeux politiques se sont multipliés, se sont diversifiés, le monde bipolaire qui se révélait il y a bien longtemps (d’abord durant la 2nde Guerre Mondiale, puis jusqu’en 1989 sous d’autres formes) a rendu difficile l’engagement ferme et déterminé pour une cause précise.

Enfin, par ce livre, on a l’impression que Stéphane Hessel fait le procès d’une époque. En effet, pourquoi inciter à l’indignation ? Les gens ne s’indignent t-il plus ? Les engagements politiques, militants, associatifs, ont-ils disparu ? Certes le livre est avant tout destiné à inciter un regain de l’attention populaire envers les sujets politiques.

Mais Stéphane Hessel se base sur un passé fortement engagé (dont il tire une légitimité de donneur de leçons), et assoit ainsi en partie sur celui-ci sa critique (peut-être quelque peu légitime, mais surtout exagérée) d’une société qui ne s’indignerait plus de ce qui l’entoure, alors que lui, pour s’indigner, avait, outre sa volonté, les moyens (tant financiers qu’intellectuels), certainement les réseaux (les relations) et les soutiens garantissant un engagement réussi.

Primo, son livre néglige trop les divers engagements qui persistent à diverses échelles, dans divers domaines, et secundo, cette critique décalée de toutes les évolutions (et également des facilités dont il a pû lui-même bénéficier durant sa vie militante, ce qui n’enlève rien à ses réussites) laissent un goût amer : sa critique perd de sa ferveur, du fait qu’il critique une situation de fait (qu’il juge actuelle) sans la nuancer (indignez-vous, supposant ainsi, plus personne ne s’indigne), et surtout la compare avec son engagement, datant d’une époque passée et bien différente de l’actuelle, plus propice à cette idée d’insurrection populaire qu’il veut persistante.


Les réactions

Il est certains que ce livre a ainsi provoqué de nombreuses réactions, plus ou moins enthousiastes, plus ou moins sceptiques.

Dans un premier temps, la presse fut très favorable au phénomène, ou l’a en tout cas fort bien distribué, de par un écho médiatique relativement important (avec pléthore d’articles sur internet ou dans la presse écrite, mais également interventions audio-visuelles sur France 2 et sur Canal +).

Un article intéressant et plutôt élogieux sur ce livre sur « lecritdelachouette ».

Mais les réactions furent également sceptiques, comme pour exemple, celle du chroniqueur Eric Zemmour, ou encore celle de l'avocat général Philippe Bilger.

Ces critiques sont davantages tournées vers le succès abusif de ce livre, qu’ils jugent avant tout fondé sur le seul personnage qui en est l’auteur.

Pour conclure

Le message de l’auteur est à prendre en considération, cela est certain. Il est certain qu’il ne laisse que peu de gens totalement indifférents, mais il est a relativiser donc pour bon nombre de points : sa position idéologique clairement affichée, le peu de nuance dont il peut se revêtir, et également une posture avantageuse lui attribuant une supposée légitimité à critiquer, mais qui ne lui dispense pas d’être objectif, nonobstant par ailleurs l’absence de toute force de proposition dans son livre : on reste sur sa fin.

En résumé, « Indignez-vous, je ne sais où, je ne sais quand, ni même comment [prenez exemple sur moi, qui ai tant fait], mais surtout, indignez-vous ! ».

Le message originaire qui veut faire réfléchir, faire bouger, se transforme presque en une obligation morale, qui dévoie grandement l’idée qui consiste davantage à s’indigner par volonté, par conviction, que par réflexe, voire automatisme, ce qui vide quelque peu le sens de la notion d’indignation.

Rémi Decombe.

-« Indignez-vous ! » - Stéphane Hessel – éditions indigènes, collection « ceux qui marchent contre le vent », 3€.


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