Magazine France

Les métaux

Publié le 21 février 2011 par Philippe Thomas

Poésie du Samedi, 21 (nouvelle série)   

Je retrouvai Olivier l’après-midi même où je dégotai un recueil de Robert Sabatier, moins connu comme poète malgré sa monumentale Histoire de la Poésie française que comme le romancier inspiré du cycle… d’Olivier (Allumettes suédoises, Noisettes sauvages, etc…). Coïncidence où je vis un signe de bon augure, d’autant plus que de terribles épreuves attendent bientôt mon pote Olivier. Un vrai parcours du combattant pour entrer dans une grande maison… Dans ce genre de situation, on ne sait pas vraiment ce qui nous attend… On ne sait pas comment se préparer, comment se caparaçonner ou de quel blindage se parer pour affronter le roulement des tests ou des questions. Quelle armure revêtir ? De quel métal ? Acier chromé, heaume et bouclier aux armes ? Blazer anglais et mocassins à glands ? Chapeau ou pas chapeau ?

Dans ce genre de circonstances, il s’agit aussi et surtout de se mettre à nu sans impudicité. « Be cool, be open », ai-je alors anglicisé à un Olivier stressé alors qu’il engloutissait un croque-monsieur en laissant refroidir son café. « J’ai pas eu le temps de manger à midi », s’excusa-t-il en mastiquant. « Très bien, tu as effectivement beaucoup mieux à faire à midi… », approuvais-je en sirotant mon  thé car c’était la cinquième heure A.M. Entre deux rendez-vous, absorbé par ses soucis de citadin affamé, il ne répondit pas. Olivier ne savait plus trop à quel saint se vouer. Je lui ai conseillé Saint-Martin, le bon chevalier qui partageait son manteau… Mais Olivier était plutôt préoccupé par son chapeau. Faudrait-il entrer coiffé ou tenir à la main le galurin ?

Sans doute lui faudra-t-il se plier à l’usage et laisser en entrant pas mal de bricoles ou de bling-bling. Et même si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, il devra quand même laisser son armure et ses objets métalliques au vestiaire. Quand au chapeau, peut-être ressortira-t-il de l’épreuve transformé en casque, un peu comme les sandales d’Empédocle changées en bronze par le volcan ? « Be cool, be open », lui répétais-je. « Tiens, pour te détendre, je vais te lire un petit poème ». J’ouvris alors Les châteaux de millions d’années et, voyez un peu le hasard, je tombai sur…

Les Métaux

A l’orichalque, au métal des Atlantes

Je te dédie, ô corruptible chair.

Offre ta nuit première à cette amante

Tranchante et frêle : une lame de fer

Pour séparer en toi les eaux dormantes.

A l’étain mat, au chrome, au manganèse,

A l’iridium, au nickel, au cobalt,

Compare-toi, petite plaie, honnête

Petite plaie avec tes tendres lèvres,

Sang devenu le langage du mal.

Au lointain pâle, au mercure, à la rose,

Offre ton corps, inachevé, mortel,

Et gagne en jours ce que tu perds en choses,

Homme, petit homme devenu tel

Que son corps pur aux seuls métaux se donne.

Il marche encore, il chérit ses prisons

Et coule en lui tout le métal qu’il aime

Si passager dans sa lente fusion,

Miroir de bronze, et d’acier diadème.

Soudeur de mots, sais-tu souder les êtres

Et les dissoudre et les remodeler ?

Devenir or et vieil argent renaître,

Sais-tu mourir et, tel un minerai,

Couler parmi la pierre, ton ancêtre ?

Robert Sabatier (né en 1923), Les châteaux de millions d’années, Albin Michel, 1969.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Philippe Thomas 103 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog