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Une pièce, non ce n'est pas ça : La mort du boss (suite)

Par Placebo
L'ami qui s'était éclipsé à l'entracte, non sans avoir manifesté quelque humeur, m'a fait tenir son propre commentaire de la « pièce », qu'il m'a permis, je l'en remercie, de partager avec vous.
Dans le « petit groupe de théâtreux » dont parle Claude, je suis celui qui, « assez contrarié est parti à l'entracte » : effectivement, je n'ai aucunement ressenti l'envie ni le besoin de subir la deuxième partie du spectacle, la première m'ayant déjà suffisamment agacé. J'ajoute donc ici quelques remarques pour m'expliquer.
Le metteur en scène a tenu, dès le lancement de la pièce, à nous avertir : il s'agit d'une pièce de théâtre, et non du monologue d'un humoriste. C'est un défi intéressant. Alors, pourquoi pas ?
Qui dit théâtre dit (bien sûr) personnage(s) : dans cette pièce, alors, quel personnage est censé jouer Benoît Brière ? Le comédien se met-il « dans la peau » de l'« ouvrier », ce personnage écrit par l'auteur Yvon Deschamps, ou dans celle d'Yvon Deschamps-le-monologuiste en train de nous raconter les déboires de l'« ouvrier » (comme il l'a fait autrefois) ? Tout au long de la pièce (non, OK, de la première partie), j'avais l'impression que le comédien sautait de l'un à l'autre. Ajoutons à cela quelques petits trucs empruntés à Olivier Guimond, et l'unité et la clarté en prennent pour leur rhume.
Certains s'étaient demandé, avant d'aller voir la pièce : le texte a-t-il vieilli ? quel effet produira-t-il, 40 ans après sa création ? Moi, la question que je m'étais posée est plutôt la suivante : comment le metteur en scène réussira-t-il à nous faire voir et sentir ce qui est encore actuel (voire intemporel) dans le texte, malgré certains éléments qui renvoient forcément à une époque qui elle, est révolue. Le théâtre est le théâtre justement parce que, pour nous toucher, une pièce n'a pas à nous présenter des événements qui se déroulent au moment où on y assiste. Mais, quand l'action se déroule à une certaine époque du moins, quand elle est liée de près, comme ici, à une période historique précise dans un pays donné –, il faut que les spectateurs puissent la situer. Or, comme l'écrit Claude, on peut se demander à quelle réalité renvoie la pièce. Ceux qui ont 50 ans et plus peuvent (parfois) y reconnaître le Québec d'avant (ou des débuts de) la Révolution tranquille. Mais les plus jeunes ? (Est-ce que le seul fait de prononcer « téléphone » comme si le mot s'écrivait « téléphône » est censé nous éclairer ?)
Avec ses monologues, Yvon Deschamps nous faisait rire, bien sûr – ne serait-ce que grâce à certains jeux de mots, toujours aussi drôles. Mais on riait aussi parce qu'il nous renvoyait une image de nous pas nécessairement très drôle, mais assez juste et dont certains éléments, poussés à l'extrême, nous permettaient de rire (même de nous) avec cœur. Il y avait beaucoup de tendresse dans les monologues d'Yvon Deschamps ; il aimait son personnage, et il ne le ridiculisait pas. Il parvenait à dénoncer des injustices sociales épouvantables en nous faisant rire avec son personnage, et non de son personnage. Or, l'« ouvrier » de Benoit Brière et de Dominic Champagne ressemble très souvent à un attardé mental, entre autres à cause de ses nombreux tics et de sa façon de se déplacer (même quand il n'a que quelques pas à faire, sa démarche est si incertaine qu'on se demande si le personnage, censé avoir une trentaine d'années, n'en a pas plutôt 90).
Dès lors, le sens du texte d'Yvon Deschamps est complètement évacué : effectivement, pour vivre et réagir comme le fait le personnage, il faut être niaiseux (dixit Claude), ou avoir des problèmes de santé mentale qui empêchent de vivre « normalement ». Les inégalités sociales qu'Yvon Deschamps dénonçaient n'ont plus de place ici : la société n'est peut-être pas toujours juste, mais il faut vraiment être niaiseux pour s'y laisser prendre et en souffrir à ce point.
Plus encore : le personnage joué par Benoît Brière n'a aucune vraisemblance tellement la caricature est poussée. Pourquoi nous souligner trois fois au crayon gras ce que le texte dit déjà clairement ? On voudrait gommer le caractère presque tragique de certaines situations ou de certaines répliques qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Derrière la peinture « sociale » d'une époque donnée de l'histoire du Québec, il y a aussi, dans le texte d'Yvon Deschamps,  quelque chose de terriblement dramatique et touchant, qui est lié, dirai-je faute de trouver des mots moins galvaudés , à la « difficulté de vivre » dans une société où une minorité utilise tous les pouvoirs pour maintenir sa domination et ses privilèges. Et, pour rendre cela au théâtre, rien de mieux que la sobriété : les spectateurs sont capables eux-mêmes d'entendre et de voir ce qu'ils entendent et voient, d'en rire, de s'en indigner ou d'en pleurer, sans qu'un comédien se promène sur la scène avec une pancarte « Ici, c'est drôle ! » ou « Ici, c'est triste ».
Bref, oui, cette « moitié de pièce » m'a beaucoup agacé.
 Jean B.
P.-S. Je m'excuse, auprès des autres membres du groupe de théâtreux, d'avoir grimpé dans les rideaux. Je l'avoue, c'est parfois ainsi que je réagis quand un spectacle me donne l'impression qu'on me prend pour plus imbécile que je ne le suis. Et j'invoque des circonstances atténuantes : la grippe, ça me rend plus vite impatient.


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