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Stéphane Beau & La semaine des 4 jeudis

Publié le 07 mars 2011 par Marc Villemain

beauJ'aurais fort mauvaise grâce à ne pas évoquer ici le petit opuscule que Stéphane Beau vient de faire paraître chez Gros Textes, moi qui le sollicitai, en son temps, pour venir porter le fer dans la plaie des 7 Mains. Le regroupement de textes qu'il donna ici ou là, non seulement donne un aperçu de ce qui agite son rapport au monde et à l'écrit, mais confère à La semaine des quatre jeudis une unité et une cohérence que la dispersion sur moult supports ne permettait peut-être pas d'évaluer correctement.

Par définition, je connaissais déjà certains de ces textes. Pourtant, et c'est là une réflexion qui déborde assez largement de ce seul cas, j'observe que je les lis ou relis avec une tout autre saveur maintenant que les voilà regroupés, et regroupés au sein d'un livre traditionnel. N'en faisons pas pour autant un sujet à controverse, et ne concluons pas de cette seule observation des considérations par trop générales sur les attributs et vertus respectives du papier et de l'écran : considérons seulement que le support induit, ou peut induire, selon les personnes, une autre qualité de lecture, de pénétration ou de réflexion. Moyennant quoi, cette lecture m'a assez amplement conforté dans ce que je pensais des travaux de Stéphane Beau - confirmant ce à quoi j'étais sensible comme ce à quoi je l'étais moins.

Stéphane Beau n'a rien d'un poseur - il en est même la parfaite antithèse. Il n'est venu à l'écriture, nous dit-il, qu'à petits pas, par à-coups, cahin-caha, au gré de l'existence, de ce qu'il y trouvait ou pouvait y puiser. D'aucuns diront (lui-même, peut-être) qu'il n'est pas, pour ces raisons-là, un écrivain ; d'autres (c'est mon cas) en conclueront bien au contraire que ce flegme très personnel à l'égard de l'écriture et de l'art littéraire, qui le conduit à ne jamais se penser en écrivain, en fait précisément un de lui. C'est la vertu du dilettantisme, si l'on peut dire, étant entendu que ce dilettantisme-là est chez lui passionné, source de passions, et porté par une admiration infinie pour tout ce qui peut avoir trait à la littérature. On retrouve tout du long de cette semaine des quatre jeudis ce que je désignerai donc comme étant une sorte de qualité d'âme, forte d'une lucidité et d'un humour sur soi qui n'est pas pour rien dans ce que ce livre peut avoir d'attachant. Toutefois, cette complexion peut être également porteuse d'une certaine forme d'incomplétude. C'est vrai par exemple des aphorismes, ici rebaptisés Contingences, art particulièrement délicat s'il en est, le risque étant toujours très grand de ne pas percuter à chaque coup - c'est la difficulté, mais aussi l'ingratitude du genre. Si je me suis régalé de quelques-uns (Au fond, la bêtise des autres me rassure sur la normalité de la mienne / Le nain qui plante un arbre profite plus vite de son ombre / Nous avons perdu l'habitude de souffrir. Lorsque reviendra la chaos nos crânes éclateront comme des coupes de cristal), d'autres m'ont semblé tomber à plat, moins inspirés, plus attendus - l'usage parfois excessif du point d'exclamation venant peut-être en compensation de ce que Stéphane Beau considérait peut-lui même, in petto, comme insatisfaisant.

J'ai, d'assez loin, préféré ces petites anecdotes qui parsèment le livre, nourris à une élégance qui a su trouver sa voie entre la désuétude et la causticité. Toutes sont révélatrices d'un tempérament devant le monde qui est assez touchant dans sa distance perplexe, et dotées d'un défaitisme qui n'est pas sans ironie - en plus d'être assez habilement conduites. Ces formes courtes, à la frontière du cliché, de la micro-fiction et de la tranche de vie, sont le plus souvent très amusantes à lire, même si elles attestent sans doute, au fond, d'un sentiment beaucoup plus troublé.

Où mes réserves se rejoignent, qu'il s'agisse de ces anecdotes ou des aphorismes en tant que tels, c'est lorsque Stéphane Beau sort, non seulement de sa langue, mais de sa pensée littéraires. Je veux dire par là qu'il  y a chez lui quelque chose d'irrémédiablement militant - il revendique ardemment son anarchisme - qui, lorsque cela vient édifier une histoire, peut finir par la desservir. J'aurais amplement préféré que la sélection dont il a certainement décidé pour cette forme d'anthologie concerne aussi ces textes où il est davantage question d'affirmer une idée du monde ou de convaincre du bien-fondé d'un certain rapport à la société, et qu'il laisse parler pour lui ces anecdotes souvent amplement éloquentes. Il ne s'agit évidemment pas ici d'une quelconque réserve à l'égard de sa pensée politique ; je pense seulement que ladite pensée aurait trouvé vecteur plus incisif en s'estompant ou en se dissimulant derrière la littérature. C'est la limite de cet exercice, qui n'affecte heureusement pas la qualité de certaines pétites, dont je peux bien confesser que j'en suis jaloux.

Stéphane Beau est également l'animateur d'une revue (papier) et de son blog : Le Grognard.


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