Magazine Société

"L'enfant prodigue" de Jean-Louis Kuffer

Publié le 12 mars 2011 par Francisrichard @francisrichard

Les lecteurs assidus des Carnets de JLK ici ne seront pas déçus, ou alors en bien, par le dernier opus de Jean-Louis Kuffer, L'enfant prodigue, paru aux Editions d'Autre Part ici. Il mérite cependant de dépasser largement ce cercle de happy few, dont je fais partie, même si ce cercle n'est pas négligeable pour et sur la Toile.

L'enfant prodigue est un roman, comme peut l'être La recherche. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'un roman où les amateurs d'intrigue seront servis. Il s'agit d'un roman où l'intériorité prime et où les souvenirs prennent une forme rêvée, laissant de surcroît une large place à la créativité du lecteur, qui peut lui aussi partir à cheval sur le rêve.

Il n'y a rien d'étonnant à cela puisque l'auteur fait partie de ces rêveurs allumés qui suivent une ligne brisée, irrégulière, avec une cohérence confondante. Il nous mène en son bateau ivre et nous en sommes ravis. Il nous fait emprunter des détours pour arriver au but, mais nous y parvenons.

Georges Haldas, dans ses Chroniques de la petite fontaine, ne définissait-il pas ainsi, au détour d'une phrase, de manière indirecte, l'Etat de Poésie qui lui était si cher :

"Le propre, dans l'Etat de Poésie, c'est de ne pas nommer directement les choses, pour que, par un détour, elles deviennent plus présentes."

Nous retrouvons une partie des personnages du Pain de coucou dans ce nouvel ouvrage, mais il faut dire d'emblée que le ton n'est plus le même à un quart de siècle de distance. Le style a lui aussi changé, il s'est fait plus onirique encore si c'était possible, ce qui prouverait que la maturité n'empêche pas, au contraire, de devenir un éternel enfant, prodigue de ses vagabondages.

Le monde de JLK est peuplé de livres, de mots, d'oeuvres d'art, de couleurs, de personnages rencontrés, tout comme de portraits et de photos de famille. JLK est insatiable, curieux de tout, d'une chose et de son contraire. D'ailleurs il reconnaît lui-même qu'il est double. Il y a deux moi en lui, "moi l'un" et "moi l'autre" qui sont loin d'être d'accord l'un avec l'autre, mais qui cohabitent tout de même sous le même crâne.

N'est-ce pas d'ailleurs le propre de tout homme d'être double, comme Janus, même si nous ne nous en faisons pas volontiers l'aveu ? "Tout homme est une guerre civile" disait Thomas Edward Lawrence dans Les sept piliers de la sagesse...

La plongée dans l'enfance et les émois de l'adolescence, avant et après le sperme chez les garçons, avant et après le sang chez les filles, ne sont pas prétexte à nostalgies. Ils sont quête, qui restera sans réponses définitives, mais qui permettront de reconstituer vaille que vaille ce que nous sommes devenus, ce que nous sommes. La réminiscence des amours mortes ressortit de la même quête qui ne nous rapporte que quelques pièces du puzzle, mais c'est déjà beaucoup et prometteur. 

Parmi les personnages rencontrés il y a Alonso Ferrer, que votre serviteur a bien connu en son temps, mais que JLK a quelque peu modifié pour des raisons romanesques évidentes. Il y a Georges Simenon qui se rendait chez un traiteur de la place Saint-François à Lausanne, dont le nom a également été changé pour les besoins de la cause. Le Monsieur Lesage de la librairie du Rameau d'Or emprunte ses traits à diverses personnes que les initiés reconnaîtront. La silhouette de Georges Haldas fait une courte apparition, comme un clin d'oeil amical...

Pas davantage que dans La recherche, le décryptage n'a réellement d'importance. Ce qui importe, ce sont les multiples facettes de la vie qu'il est donné au lecteur de retrouver ou de découvrir à travers ces diverses rencontres. Je suis même sûr qu'il n'est pas besoin d'avoir approché ni de près, ni de loin, tel ou tel des personnages rencontrés par JLK pour en apprécier tout le charme et toute la singularité, tels qu'ils nous sont rapportés par lui.

Toutes les familles de ma génération ont leurs portraits, sépia ou noir et blanc, ou les deux suivant le temps remonté. Celle de JLK ne fait pas exception. Tous ces portraits sont les masques derrière lequels des vies réelles ou rêvées nous contemplent. De leur foisonnement jaillit la vie tout simplement. A partir de leur évocation nous sont restitués les liens auxquels même les enfants fugueurs, prodigues, sont tentés de se raccrocher pour mieux savoir ce qu'ils sont vraiment, c'est-à-dire à partir d'où ils viennent.

Les ascendants, les collatéraux, ne sont pas les seuls miroirs qui nous renvoient l'image de la vraie vie qui nous ressemble. Il y a aussi l'Enfant, pareil aux autres enfants, avant que son rire n'éclate pour s'en distinguer :

"Le rire de l'enfant est la preuve qu'on n'est pas rien : qu'on est Quelqu'un."

JLK, sur l'Enfant devenu enfant sans majuscule, une fois qu'il est personnalisé par un prénom, écrit de véritables pages d'anthologie qu'il faudrait pouvoir reproduire in extenso.

Ceux qui se posent encore des questions, comme les enfants devant le monde qu'ils découvrent, ceux qui restent interloqués par les contradictions de la vie, ceux qui ont baigné peu ou prou dans l'évangile de Luc, à un moment de leur existence, apprécieront ces questions que pose JLK et qui resituent bien les choses dans le contexte de notre condition humaine :

"Est-ce parce que tous nous baissons, tous tant que nous sommes, que nous ressentons de mieux en mieux la valeur et la beauté des choses ? Faut-il vraiment baisser pour s'élever un peu, ou n'est-ce pas dès l'enfance que nous nous élevons, et par l'enfance subsistée en nous qu'en baissant nous ne cessons de nous élever, riches de nos expériences et de l'affinement de nos sentiments ?"

Francis Richard


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine