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Orient intime d'Yves Leclair (Philippe di Meo)

Par Florence Trocmé

Leclair yves L'ouvrage se présente comme une mosaïque de fragments très courts. Chacun d'entre eux se révèle cependant relié à tous les autres. Un principe d'organisation original articule par un blanc apparent l'unité de l'ensemble. Une circulation de chaque partie vers toutes les autres s'établit au fil des pages.   
Le propos demeure en effet de bout en bout homogène. Comme d'une étincelle à l'autre, un même feu se propage pour déployer une intensité de la sensation si ardemment quêtée et immanquablement obtenue.  
La présence d'un Orient, d'une "'orientalisation" et d'une '"orientalité" comme qualité des affects se déniche dès les alentours de Naples comme senteur forte. Et ce dépaysement-là serait le véritable "empaysement" : l'accès au vrai pays, loin de tout exil. Celui, atopique, d'une certaine plénitude, d'un vécu solaire.  
Nous sommes donc en présence un livre sur le bonheur loin d'une Europe inodore, sans couleur et sans saveur qui lui tourne délibérément le dos. Et Yves Leclair prend appui sur Robert Walser dont il cite une lettre célèbre : "les manières de la société sont étrangères à ma nature profonde et me rendent malheureux." 
Le tout trouve sa pierre de touche dans la sensation restituée dans les nuances de la gamme de ses délicats arômes, images, pensées adjacentes et autres renvois, d'éclats de souvenirs en citations. Les uns et les autres sont faufilés dans le texte avec une fraîcheur déconcertante.  
Un style sensuel, dans l'acception large du terme, et comme bondissant ou sautillant, nous séduit alors d'emblée par son pouvoir de suggestion inhabituel. Qu'on en juge : "liane d'Upanishad", par exemple, ou, encore, le Péloponnèse assimilé à une "main" gigantesque. Car " (…) la vie est pleine de présences, riche d'échanges, heureuses de vraie paroles, lorsqu'elle est bien remplie (…)." Même si "l'écriture est une maladie de la mémoire et santé de l'oubli."   
Un dynamisme incessant irrigue l'ensemble, celui du Bios, justement. Comme autant de lianes, l'éprouvé se conjoint spontanément au senti, au ressenti, qui associe une chose à l'autre. En filigrane, l'image d'un insecte butineur se laisse deviner à contre-jour. 
Chemin faisant tout ce qui semble épars, morcelé en langues, états, coutumes différenciées, enracinement univoque, langues finit par parler à l'unisson dans la vibration de la force symbolique qu'elles émanent. Pour peu qu'on soit réceptif. Il y a fusion et effusion de l'anecdotique historique dans l'essentialité de l'humain, justement universel comme certaine qualité de la sensation peut l'être. C'est affaire de point de vue. L'orient se mue peu à peu en métaphore de la présence. 
Nous devons savoir gré à Yves Leclair de nous proposer cette exquise "poésie" du sentiment comme décalque d'un vécu dans cet élan qui mène l'écriture à la rencontre de la vie.  
 
Philippe Di Meo 
 
Yves Leclair : 
Orient intime, 
Collection L'Arpenteur, 
Editions Gallimard 
119 p. ; 15 Euros 


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