Magazine Moyen Orient

A l'école de la propagande Kadhafi

Publié le 19 mars 2011 par Delphineminoui1974

école.jpgAu premier coup de sifflet, ils dévalent, dans un brouhaha inaudible, les marches des escaliers de l'école Zahrat-el Fatah. Au milieu de la cour de récréation, Souad Sultan, la directrice en foulard les attend au garde à vous, avec sa partition bien rodée. « Allah, Mouammar, et la Libye, c'est tout ! », entonne-t-elle d'une voix aigue, le poing levé vers le ciel, devant tous ces bambins surexcités. Dans leur uniforme bleu foncé, ils reprennent aussitôt en chœur, tels de petits automates, l'ode consacrée à « l'oncle Kadhafi ». Les plus costauds ont même décroché le portrait du dirigeant libyen de leur salle de classe pour le brandir à bout de bras. Comme un jeu abrutissant, dont ils ne maîtrisent ni les tenants ni les aboutissants, ils se mettent à l'inonder de baisers. 

Ces enfants de Tripoli ont entre 8 et 14 ans. Ils ont encore l'âge de jouer aux billes et à la corde à sauter. Mais à l'école publique Zahrat-el Fatah, qui vient de rouvrir ses portes, après trois semaines d'interruption pour cause d'affrontements entre pro et anti-Kadhafi, même les pauses ludiques ont le goût de la propagande. Ici, aucun signe de révolte ne transparaît. Les photos du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis plus de 41 ans, sont fermement accrochées aux murs. Confortée par la récente « victoire » des forces loyalistes sur les villes rebelles de Zaouiah, à l'ouest, et de Ras Lanouf, à l'est, qu'elles viennent de reconquérir, Najia Arabi, une institutrice, brandit le « petit livre vert », la « bible » du régime, comme un rempart contre les « ennemis de la Libye » : Al Qaeda, la télévision Al Jazira, les Américains, la Ligue arabe - favorable à une zone d'exclusion aérienne -, ou encore la France - premier pays à avoir reconnu le gouvernement de l'opposition, à l'est -... La liste est longue, mais « inchallah », poursuit-elle, « la Libye sortira la tête haute, comme après la colonisation italienne ».

Ce fameux «livre vert », elle en enseigne les préceptes à ses élèves, à raison d'une heure par semaine. « Je leur rappelle que Kadhafi n'est que l'humble guide de la révolution libyenne, et que c'est le peuple qui gouverne, par le biais des comités populaires. Un vrai modèle de démocratie dont devraient s'inspirer d'autres pays ! », dit-elle, en omettant de préciser l'absence d'élections, et la violence des milices qui matent le moindre opposant.  En bon petit soldat du régime, Najia Arabi détaille fièrement les privilèges reçus en échange de son allégeance au guide : « J'ai un bon logement, une voiture, un salaire de 500 dinars par mois. Et récemment, j'ai eu droit à une aide supplémentaire de 400 dinars sur mon compte bancaire. Que demander de plus ? ».

La fin de la récréation a sonné. Enivrée de propagande, Najia Arabi, nous offre une tournée des classes. Au rez-de-chaussée droit, un cours de mathématique s'apprête à démarrer. Un surveillant en costume cravate tire un des élèves de derrière son pupitre. « Allez, dis à la journaliste que tout va bien ! », lui glisse-t-il en arabe. A la question de savoir s'il est content d'avoir repris les cours, il répond : « Oui, parce que pendant plusieurs jours, j'ai vraiment eu peur, très peur.... ». De quoi ? « Euh, de rien du tout... De rater mes examens », se ressaisit-il, au premier cou de coude dudit surveillant. « Il faut que les média racontent la vérité. A Tripoli, tout va bien.... Les écoles ont juste fermé pour quelques jours... Je vous le jure, il ne s'est rien passé à Fachloun, Souk el-Jemaa et Tajoura - ndlr : épicentres des accrochages du début de la révolte », bégaye-t-il, en répétant mot à mot les paroles que le cerbère lui souffle à l'oreille. Avant d'enchaîner : « Ici, personne ne craint une intervention étrangère. On veut Kadhafi, on a besoin de Kadhafi ! », sous les applaudissements des autres élèves.

De retour dans le couloir, une adolescente en foulard blanc s'approche discrètement de nous. Profitant de l'absence momentanée du surveillant, elle lâche, dans un parfait anglais : « Il y a beaucoup de problèmes en Libye : la corruption, la censure... On a du pétrole, mais l'argent est mal réparti ». S'excusant de « ne pas savoir mentir », elle enchaîne : « Depuis qu'on a repris les cours, les classes sont à moitié vides. Les gens sont effrayés par la situation, c'est normal. Ma mère, elle, a arrêté de travailler depuis que son directeur a été tué pour des raisons que j'ignore. A ce qu'il parait, il y a eu beaucoup de morts ». Fan de séries américaines et accro à facebook, la jeune fille enrage de ne plus pouvoir accéder à l'Internet, bloqué depuis plus d'une semaine. « Ils ont même brouillé Al Jazira pour nous forcer à regarder la télé nationale. Mais tout qu'elle dit, c'est « vert », alors à quoi bon ? », s'énerve-t-elle. Au bout du couloir, les talons de la directrice résonnent sur le carrelage. « La Libye est un pays uni. Ici, nous sommes tous des frères. Personne ne veut de guerre ! », déclame-t-elle, en changeant aussitôt de sujet, avant de disparaître dans sa salle de cour.

(crédit photo : Delphine Minoui)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Delphineminoui1974 564 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte