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le lynx ou la fin du rêve

Par Richard Gonzalez

Sierra

Sierra de Andujar, Espagne, le 4 janvier 2008


On a attendu ici, perchés sur un bout de colline. On a fixé les collines d'en face, toute la journée, presque religieusement, à l’affût du moindre frou-frou. Le Lynx pardelle est apparu en fin d'après-midi, furtivement, à trois reprises. L’animal s'est glissé d'un fourré à un autre, a crié un peu, avant de disparaître derrière un repli herbeux déjà noyé de soir.

Le Lynx pardelle est le félin le plus menacé au monde. Bien plus que le Tigre : il n’en restait, aux derniers comptages de 2004, qu’à peine 110, répartis en trois petits noyaux isolés de 30 à 40 individus dans le sud de l’Espagne. C’est dix fois moins que ce que donnaient les précédents recensements, en 1990. Cent dix, à tout casser. La chute est brutale. Elle fait plus qu’inquiéter, elle désespère. Pour beaucoup de scientifiques, l’affaire est perdue. On donne quinze ans au Lynx pardelle pour terminer son odyssée terrestre.

Et dire qu’au début du 20e siècle, l’espèce était présente sur la majeure partie de la péninsule! Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? Le Lynx ibérique a d’abord souffert de la disparition de sa proie principale, le Lapin de garenne, décimé par la myxomatose. Les braconniers ne se sont pas fait prier non plus pour le dégommer, l’accusant de concurrence déloyale. Aujourd’hui que les chasseurs reviennent à un peu plus de raison, c’est l’aménagement du territoire qui brise les dernières chances de survie du Lynx. Au nom du désenclavement économique promu par notre chère Europe, on a creusé la terre, bouleversé les montagnes. On a tracé des autoroutes un peu partout, transformé les chemins de pierre en larges rubans de bitume, autant de barrières infranchissables quand elles ne sont pas meurtrières. Cantonnées sur des bouts de cailloux isolés, les familles de Lynx ne peuvent plus se mélanger. Maladies consanguines, affaiblissement génétique, jusqu’à ce que la mort s’ensuive.

Lynx

On va attendre quelques années encore, à contempler ce qu’il reste des collines. Rêver du pas feutré du Lynx, espérer sa robe tachetée entre deux vagues de genêts gonflées de vent fier. Un jour il faudra se résoudre à redescendre du promontoire. Et s’en aller gaillardement rejoindre l'immense file des candidats forcés au "désenclavement économique", chez Astérix aux Jeux Olympiques par exemple, en grignotant du pop-corn OGM.

[Le Lynx pardelle ou ibérique est une espèce distincte du Lynx boréal, présent dans l'Est de la France, et dont les effectifs, très précaires eux aussi, montrent toutefois des signes de reprise].


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