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Jean-Bertrand Pontalis, Un jour, le crime, Grasset

Publié le 17 avril 2011 par Irigoyen
Jean-Bertrand Pontalis, Un jour, le crime, Grasset

 Jean-Bertrand Pontalis, Un jour, le crime, Grasset

Philosophe, psychanalyste et écrivain, Jean-Bertrand Pontalis dirige depuis 1989 la très intéressante collection « L'un l'autre » chez Gallimard - je vous parlerai prochainement d'Akira Mizubayashi – qui ambitionne de montrer des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle.

Point de tout cela ici. J.-B. Pontalis nous invite à réfléchir avec lui à la violence contemporaine et à la façon dont, éventuellement, la société agit sur elle, en la limitant ou, au contraire, en l'exacerbant.

La violence, je la vois déjà à l'œuvre dans cette indifférence aux autres si proche de la haine, en ceci qu'elle vise à détruire ce qui n'est pas soi.

S'agit-il d'un récit ou d'un essai ? A vrai dire, je ne me sens pas qualifié pour répondre. Les deux peut-être. L'auteur recoure parfois à des expériences personnelles qui donnent lieu à un questionnement plus général ou viennent accompagner une réflexion déjà entamée sur un sujet. Il lui arrive aussi d'aller chercher des arguments chez d'autres. Et cette masse de références m'enthousiasme :

L'éducation, la société avec ses lois et ses interdits, les limites qu'elle impose de ne pas franchir ne constituent qu'une couche protectrice de surface, toujours prête à se déchirer pour laisser surgir l'homme criminel. Freud ne pensait guère autrement : comment « dompter » l'énergie des pulsions, comment l'orienter, la déplacer, la sublimer afin d'éviter qu'elle ne rompe, par sa puissance, tous les barrages ?

Qui dit interrogation sur la violence, dit forcément évocation de la morale. Ce terme est utilisé à tout bout de champ, surtout par certains hommes politiques qui, ces dernières années ont justifié des guerres en son nom – se basant aussi sur la religion, comme si la religion était morale -

Elle était rassurante la bipartition du Bien et du Mal. Il faut avoir un esprit dangereusement borné pour être convaincu de l'existence d'un axe du Bien face à un axe du Mal. Comment croire aujourd'hui à un Souverain Bien. Qui oserait soutenir que « nul n'est méchant volontairement » ? Si c'était le Mal devenu le souverain ? Les preuves ne manquent pas.

Puisque Jean-Bernard Pontalis s'intéresse aux manifestations de la violence et à la façon dont elles nous parviennent, il ne pouvait passer outre les faits divers. L'omniprésence de ces derniers dans certains journaux, y compris télévisés, me laisse toujours perplexe. Ceux qui y ont recours me semblent vouloir lire la société à travers ses bégaiements. Pourtant, je peux très bien comprendre l'auteur lorsqu'il explique son intérêt pour ce type de « nouvelles ».

Ils nous font pénétrer dans l'intimité de vies que nous ignorons. Et quand il s'agit de crimes, ce n'est plus d'un accroc dans le tissu des jours qu'il est question, c'est d'une entaille comparable à celle que produit une arme tranchante dans la chair. Notre logique et notre désir de comprendre sont mis à mal, nos repères vacillent : « Ce n'est pas possible, cette histoire ! » Oui, nous avons peine à y croire, pourtant les faits sont là. Et les faits sont têtus, était contraint de reconnaître cet entêté de Lénine.

Tout comme je souscris à ses mots quand il répond aux accusations de voyeurisme :

S'il nous arrivait d'assister physiquement à un crime d'une extrême violence et que nous prenions plaisir à ce spectacle, alors effectivement nous serions des voyeurs.

L'auteur qui, au détour d'une petite confidence personnelle cocasse - Oui, j'aime les romans qui se lisent comme des romans policiers... que je ne lis pas - donne aussi quelques détails de sa maison d'édition, Gallimard, dont – je l'ignorais – le fondateur Gaston a patronné Détective, la revue dirigée par Georges Kessel, frère de Joseph, « personnage sympathique et flambeur » :

Gide, le juré volontaire, se réclamait de l'impératif « Ne jugez pas ». ll fonde à ce qui s'appelait encore, en 1930, La Librairie Gallimard, une collection portant ce titre, « destinée, écrit-il, à attirer les regards sur des régions inexplorées de l'âme humaine.

Si l'auteur fait référence ici à Gide, il cite aussi plus loin Dostoïevski (auquel Freud reprochait de n'être que pulsions) ou encore André Breton, auteur d'une phrase qui peut faire froid dans le dos :

« L'acte surréaliste par excellence consiste, revolver au poing, à descendre dans la rue et tirer au hasard tant qu'on peut dans la foule. »

Comme dans la vie, on passe ici d'une chose à l'autre (y a-t-il une supposée logique de l'inconscient demande l'auteur). Et Jean-Bertrand Pontalis de confirmer ce que le lecteur pressent déjà, à savoir que sa méthode est précisément de ne pas en avoir une.

Une enquête ? Non. Une excursion, une brève exploration, une traversée effectuée sans itinéraire prévu et sans instrument de navigation.

Après tout, le seul fait de poser des questions me semble suffisant. En ce sens, on peut prendre ce livre comme une invitation faite à des sociologues, anthropologues, juristes... à s'attaquer à certains thèmes soulevés. Exemple :

Voilà que défilent dans ma mémoire d'autres figures de femmes meurtrières. Pourquoi exclusivement des femmes ? Serait-ce que je vois en elles, plus que chez les hommes, l'incarnation de la passion ?

Il y a aussi de somptueux passages sur la peine de mort réclamée par certains pour les meurtriers d'enfants et auxquels Jean-Bertrand Pontalis répond, je trouve, de manière tout à fait convaincante :

Petits êtres innocents. Pourtant nous savons depuis Freud et bien avant lui – référons-nous par exemple au journal d'Héroard, fin observateur des faits et gestes du Dauphin, futur Louis XIII – que l'innocence de l'enfant est un mythe, un mythe qui perdure mais un mythe.

Comme en point d'orgue à ce livre l'auteur évoque l'une des plus célèbres personnifications du Mal, Adolf Hitler dont les propos interrogent chacun d'entre nous vis-à-vis de ses pulsions, de sa réceptivité à un discours violent. Jean-Bertrand Pontalis reprend ici sa seule casquette de psychanalyste :

Le Führer l'avait dit dès 1919, il existe un antisémitisme qui naît du sentiment, et celui-ci risque d'être passager ; il en est un autre qui s'appuie sur la raison et c'est le seul durable. Voilà pourquoi il est désormais nécessaire d'agir rationnellement. La raison seule est implacable. Dictature de la raison.

Dictature de la raison. Voilà une association bien étonnante qui pourrait donner matière à un nouveau livre.

Avis aux amateurs.


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