Magazine Culture

Georges Brassens : 30 ans après, il n’est pas mort le poète.

Par Benard

 Par Claude Darras, dernière édition le lundi 02 mai 2011.

Le fourneau de la pipe ne fume plus depuis le lever de rideau, des gouttes de sueur coulent en rigoles à peine filtrées par la moustache d'otarie héritée de son père Jean-Louis, les yeux, extrêmement mobiles, furètent sans cesse de droite et de gauche: on dirait qu'il souffre le martyre en grattant les cordes de sa guitare, inquiet à la pensée de ne plus tresser les mots ni tricoter les notes du Petit Cheval… Gérard Lenne prétend qu'il mit en musique le poème de Paul Fort pour permettre à la petite Catherine, la fille de Jacques Grello, d'en mieux apprendre la récitation “par coeur”. C'est d'ailleurs lui, le chansonnier de “La Boîte à sel”, qui lui fait la courte échelle, en 1952, en le présentant à Henriette Ragon, dans son cabaret de la rue du Mont-Cenis, à Paris; le caboulot a été aménagé dans une ancienne pâtisserie, d'où le pseudonyme de la maîtresse des lieux, la chanteuse Patachou… Dans son beau livre de souvenirs, où il donne souvent à sa phrase une cadence alexandrine, Émile Miramont, alias Corne d'aurochs, parle de son ami d'enfance avec une tendresse pudique. “Dans son Panthéon d'alors, retrace-t-il, siégeaient pêle-mêle Breton, Carco, Lesage, Aragon, Léautaud, aux côtés de Genevoix et de Pagnol.” Secrétaire et homme de confiance, Pierre Onteniente, dit Gibraltar, s'est refusé à écrire ses mémoires: “Ça jamais ! s'indigne-t-il. J'aurais eu l'air d'en profiter”. Il habite aujourd'hui le numéro 9 de l'impasse Florimont (Entre la rue Didot et la rue de Vanves), dans le XIVe arrondissement de Paris. C'est la maison où Brassens fut accueilli à son retour du Service du travail obligatoire (STO), à Basdorf, non loin de Berlin, en 1943. Il y fut reçu comme un fils par “Jeanne” Le Bonniec et Marcel Planche, un ouvrier-carrossier de Seine-et-Marne que Brassens naturalisa en “Auvergnat”, pour les besoins de la chanson où il raille “les croquantes et les croquants / Tous les gens bien intentionnés”. Jusqu'en 1966, l'impasse abritera les réunions de la joyeuse équipe des “Copains”, Éric Battista, Jacques Canetti, Jean-Pierre Chabrol, Pierre Cordier, Henri Delpont, Raymond Devos, René Fallet, Victor Laville, Marcel Lepoil, Pierre Maguelon, Fred Mella, Moustache, Pierre Nicolas, Louis Nucéra, Armand Robin, Jean-Paul Sermonte, André Tillieu et Lino Ventura. Ceux-ci y retrouvent le poète et sa compagne, Joha Heiman (1911-1999), originaire d'Estonie et surnommée Püppchen (Je me suis fait tout p'tit devant une poupée / Qui ferme les yeux quand on la couche). Presque quotidiennement, il écoute Bourvil et Claude François ! La tendresse et la subversion, l'humour et la compassion, la poésie et l'imprécation animent ses textes. Le swing et la musique noire ont fortement influencé le compositeur qui délaisse très tôt le piano pour s'accompagner à la guitare où il étonne par de déroutantes grilles d'accords, faussement simples. Amateur passionné de la chanson, il écoute presque quotidiennement Charles Trenet, Mireille, Bourvil, Georges Tabet, Fred Astaire, Georges Gershwin et… Claude François et n'hésite pas à offrir, dans les années 1960-1970, la première partie de ses spectacles à des débutants, comme Barbara, Yves Duteil, Serge Lama, Maxime Le Forestier (qui lui a rendu le plus bel hommage discographique), Pierre Louki, Colette Renard et Yves Simon, comme il a soutenu, une décennie plus tôt, Guy Béart et Georges Moustaki. Margot (qui dégrafait son corsage / Pour donner la gougoutte à son chat), Martin (Pauvre Martin, pauvre misère / Creuse la terre, creuse le temps), Jeanne (Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu / On pourrait l'appeler l'auberge du Bon Dieu), Hélène (Son jupon de laine / Était tout mité / Les trois capitaines / L'auraient appelée vilaine): Il a accompagné sur plusieurs générations les personnages de ses refrains, doubles de ses contemporains et de ses proches à Sète, à Paris, puis à Crespières. Il ne les a quittés qu'à sa mort, et souverainement intacts, comme s'ils l'avaient devancé dans l'état où il est aujourd'hui, je veux dire: l'immortalité.

Lire la suite : http://www.republique-des-lettres.fr/11454-georges-brassens.php


Retour à La Une de Logo Paperblog