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Le libéralisme connaît-il des variantes ?

Publié le 03 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

Par Stéphane Geyres

Statue de la Liberté a Paris

Statue de la Liberté a Paris

La France est à de nombreux égards un pays paradoxal et cela se confirme en matière de liberté et de politique. La France qui est un – sinon « le » – berceau historique des Lumières et du libéralisme classique, avec des auteurs allant de Montesquieu à Bastiat, entre bien d’autres, la France est devenue peu à peu sur la fin du XXème siècle ce pays où les termes « libéral » et « libéralisme » ont été et sont encore pour une large part, tabous et incompris. Pourtant, pour caricaturer Sartre, le libéralisme est un humanisme. C’est même son aboutissement.

Après cette longue période, devant le désert de l’offre politique et l’échec patent et cumulé des « ruptures » de droite et des « forces tranquilles » d’en face, la scène politique française de 2011 semble frémir d’un léger activisme libéral – auquel j’espère d’ailleurs contribuer via quelques contractures de zygomatiques réfractaires… On ne peut que s’en réjouir, surtout pour nos enfants.

Pour autant, il ne faut pas tomber dans le piège des spécialistes du carnaval politicien dont le masque marqué du sceau de libéral n’est souvent qu’une parure de mode, sans plus de fondement. Combien de politiciens ou simples militants dans notre pays s’affichent ou se positionnent comme libéraux tout en démontrant des opinions manifestement constructivistes et collectivistes ?

La « Rupture » de 2007 se voulait ainsi d’inspiration plutôt libérale ( « je refuse le nivellement, l’égalitarisme et l’assistanat » in http://www.dailymotion.com/video/x1of6b_clip-de-campagne-court_news) mais sa mise en œuvre s’est vite révélée plus proche du programme d’un PS que de celui d’Alternative Libérale.

Ahh, Alternative Libérale, le Parti Libéral Démocrate, le Mouvement Libéral de Gauche, voilà en plus que le maigre contingent raisonnablement authentiquement libéral se déchire et éclate, qui pour dériver vers une gauche improbable, qui pour s’acoquiner avec un centre réputé nouveau et les derniers pour courir des élections perdues d’avance.

Tous ces exemples plus ou moins funestes sont selon moi la manifestation d’une profonde méconnaissance et incompréhension de ce qu’est le libéralisme en France, de bonne ou de mauvaise foi, y compris de la part de certains qui s’en revendiquent le plus ouvertement.  Notamment, comment se fait-il que de nombreux « libéraux » s’opposent sur des sujets de fond comme l’immigration, la fiscalité ou encore l’Europe sur lesquels leurs fondamentaux devraient au contraire les unir face aux errements des collectivistes de tous poils ? La liberté, n’est-ce donc pas la liberté, point ? L’Europe des 27 peut-elle être un concept libéral ? L’immigration n’est-elle pas une opportunité ? La fiscalité peut-elle être autre chose qu’un vol ?

Mais au fait qu’est-ce que le libéralisme ? Et comment en être si sûr ? Je ne me permettrais pas de me poser en expert de l’histoire du libéralisme et de l’étude de tous ses courants ou de son évolution. Pour être honnête, j’en découvre régulièrement des nouveaux, chaque fois avec la surprise qu’on puisse encore tenter de réinventer la roue. L’idée est plutôt de se demander à quoi on reconnaît un « vrai » libéral ou libéralisme d’un « canada dry » qui n’en a que l’étiquette et pourtant fait plus de mousse. La définition classique de la liberté, apprise  à la communale, est bien sûr que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.»

Cette définition, devenue banale à force de nous être ressassée, est bien plus subtile qu’on le pense souvent, car elle pose bien le sujet : la liberté est une notion qui touche aux tensions entre l’individu et le reste du monde, c’est-à-dire « moi » face à « autrui.» Le libéralisme repose donc sur une vision individualiste du monde et de la société et toute notion qui ne découlerait pas de ce principe ne saurait être libérale. Corollaire immédiat, vient aussitôt l’égalité en droit de tous et de chacun. Pour que la liberté puisse être respectée, il faut un « Droit » et ce Droit doit être uniforme envers chaque individu, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir d’individus qui auraient plus de liberté, donc de Droit, que d’autres.

Cela à nouveau semble probablement trivial à la lecture. Mais cela pose la question de l’état, sujet fondamental et tellement mal compris de beaucoup de « libéraux partiels.» En effet, si le Droit et la Liberté doivent être strictement uniformes, symétriques, alors la société ne peut accorder de privilège >de droit< à quiconque, y compris aux « représentants de l’état.» Le fonctionnaire et son statut devient non seulement un privilégié, il devient l’incarnation d’un organe qui tord, viole, biaise la symétrie juridique de la société.

Toute forme d’organisation sociale, ou de proposition politique, de nature collectiviste et non individualiste, ou pire, bridant de manière arbitraire ou inégale la liberté individuelle, est donc immanquablement anti-libérale. Nous tenons donc notre critère.

Bien sûr, bien d’autres que moi ont précédemment abouti à cette conclusion et proposé cette vision « pure » du libéralisme. Dénommé « libertarianisme » outre-Atlantique pour éviter toute confusion avec la gauche qui s’est depuis longtemps emparée du thème de la liberté via la protection sociale, le libéralisme possède un cercle des auteurs disparus très réduit, celui des contemporains l’est tout autant. En France, on citera Bastiat et de nos jours P.Salin, B.Lemennicier (http://lemennicier.bwm-mediasoft.com/index.php), Ch.Michel (http://www.liberalia.com/), parmi d’autres – qu’ils veuillent bien m’excuser. A l’étranger, H-H.Hoppe (http://www.hanshoppe.com/) est un immense auteur, ainsi que W.Block. Les économistes autrichiens sont aussi de grands libéraux, on ne peut oublier L.v.Mises (http://mises.org), F.v.Hayek ni H.Hazlitt. Mais la référence absolue reste à mon sens Murray N. Rothbard, dont l’œuvre immense a posé les bases d’un libéralisme à la fois pur, réaliste, socialement et économiquement viable. (On pense notamment à « The Ethics of Liberty » et à « For a New Liberty,» tous deux accessibles librement sur le web.)

Le libertarianisme de Rothbard, Hoppe et leurs disciples est un modèle social à la fois extrêmement simple dans ses principes et structures, remarquablement cohérent quant à l’égalité de tous face à la liberté, optimum économiquement et incroyablement souple dans les solutions qu’il propose aux grands problèmes sociaux modernes. Rares sont les sujets considérés comme épineux et faisant l’objet de nombreux ouvrages que les libertariens n’ont pas déjà réglés et ceci via des solutions le plus souvent simples, élégantes et frappées du sceau du bon sens. Les auteurs libertariens sont en général à la fois de grands économistes, adeptes de l’école autrichienne d’économie (http://mises.org) et de grands juristes, adeptes du « droit naturel.»

Le libéralisme connaît-il des variantes ?

(Dessin de presse : René Le Honzec)

L’objet de cet article n’est pas de faire le tour du libertarianisme – un livre ne suffirait pas, et il ne s’agirait guère que d’un plagiat de la littérature abondante sur le sujet. Donnons néanmoins un bref aperçu.

Ce libéralisme repose sur trois piliers, et trois piliers seulement : Liberté individuelle, Propriété individuelle et Responsabilité individuelle. Difficile de faire plus centré sur l’individu. De là, s’appuyant sur les mécanismes du capitalisme et du marché libre, l’ensemble des fonctions régaliennes sont construites sans ne jamais recourir à un gouvernement ni à une administration quelconques. Les problèmes d’écologie sont réglés via une analyse strictement économique libérée de tout dogme moral, alarmiste et faussement sentimental. L’insécurité en général, routière en particulier, est démontrée n’être qu’un problème d’ingérence étatique dans le quotidien de l’individu et de manque de privatisation des infrastructures. L’ensemble des problèmes sociaux apparaissent comme de faux problèmes dus à un empilement de lois et textes diluant propriété et responsabilité au point de déstructurer l’ordre social naturel. Même les « Droits de l’Homme » – tels la libre expression, la vie privée – sont ramenés à des problématiques simples et concrètes qui trouvent leur solution dans la juste analyse de droits de propriété classiques.

Forts de cette analyse, revenons à notre sujet : Le libéralisme connaît-il des variantes ? Il serait présomptueux de répondre définitivement « non,» mais en même temps, mon expérience me montre que chaque fois qu’une variante se présente, elle s’avère toujours à l’analyse moins libérale que « le » libéralisme des libertariens.

On rencontre par exemple des « libéraux de gauche.» Ceci se veulent les héritiers de 1789, de notre « liberté – égalité – fraternité » ô combien galvaudé et d’une vision sociale du libéralisme. Mais en quoi le libéralisme pourrait-il ne pas être social ? Ou plutôt, qu’est-ce qu’un libéralisme social ? Une mesure phare des libéraux de gauche tient par exemple au « revenu universel,» qui se veut assurer à chacun un même montant forfaitaire pour chaque citoyen. Soutenue en son temps par J.Marseille, voilà une mesure réputée 100% libérale, puisque strictement égalitaire et de nature à largement simplifier les procédures administratives. Certes, certes. Pourtant, comment la finance-t-on ? Par l’impôt, forcément. Si celui-ci est pareillement égal pour tous, nous tombons sur une opération blanche. L’impôt doit donc être variable selon un critère quelconque, typiquement le revenu. Nous voici donc face à une mesure qui implique un impôt inégalitaire, deux raisons pour que cela ne puisse pas être libéral.

Plus nombreux sont les « libéraux-conservateurs.» Souvent plus libéraux que la moyenne sous l’angle économique, ils sont attachés à des concepts traditionnels comme les « valeurs,» la « nation,» ou encore la « laïcité.» Leur talon d’Achilles tient justement à cette dimension morale qui est sous-jacente. Il est nécessaire selon eux de garder le citoyen du côté du « bien » face au « mal » et c’est le rôle d’un état fort que d’assurer cet ordre moral des choses. Mais que vient faire la morale dans la liberté ? Rothbard consacre un livre entier sur ce sujet, la liberté suppose de séparer strictement le >droit< de faire une action de la >moralité< de cette action, ceci d’autant que la moralité est une chose d’ordre culturel qui varie dans le temps et avec la géographie. Dès lors, justifier l’action étatique sur une base morale quelconque – par exemple protéger la culture ou l’identité française – n’est qu’une faille laissée ouverte au totalitarisme moralisateur.

Difficile donc de trouver un autre libéralisme que le libéralisme…  Il reste que beaucoup reprochent aux libertariens leur intransigeance conceptuelle et leur « jusqu’au-boutisme » dans les arguments – intransigeance que j’assume pour ma part entièrement. Le souci du libertarien est de ne jamais laissé la porte entrouverte à la faveur de l’étatisme. Depuis deux siècles, en France comme aux Etats-Unis, comme partout, l’état grossit étape par étape, à la faveur de chaque petite « crise,» chaque prétexte protectionniste, chaque prétendu risque social. Le libertarien cherche à boucher tous les trous, repousser Leviathan, ne jamais lui laisser le moindre répit, la moindre chance. Vade retro Leviathan.

En conclusion, de même qu’en matière de liberté il n’existe que le blanc ou le noir, il n’existe pas de « gris » en matière de libéralisme. Le seul libéralisme « pur » reste celui de Salin et Rothbard, les autres ne sont que des ersatz de circonstance. Car c’est peut-être là que réside l’incompréhension la plus forte : on oublie trop souvent de faire la différence entre une mesure libérale, strictement, et une mesure de nature à se rapprocher du libéralisme, cette dernière forcément imparfaite. L’enjeu pour les libéraux aujourd’hui et demain consiste à mon sens à identifier que le seul libéralisme, le seul humanisme ne peut être que libertarien, tout en proposant des mesures et des programmes électoraux qui soient explicitement de nature à se rapprocher de cette cible porteuse de nos espoirs.

Lire aussi sur Wikiberal : Nomenclature.


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