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« Paroles de Lecteurs » (4/21) : Le Testament Français : (suite)

Publié le 06 mai 2011 par Sheumas

   Il y a dans ce roman comme chez Proust ces deux côtés.

Côté coffret à musique : c’est la grand-mère, qui lance ça et là des papillons de mots français, raconte des histoires, lit des poèmes, des livres à ses petits-enfants (Victor Hugo, Hector Malot), se souvient d’anecdotes, commente des photos. Douceur, tendresse, raffinement, luxe, dentelles et petites madeleine.

Côté coffre à pirates : c’est le narrateur qui, de la rude ville stalinienne où il grandit avec sa sœur, cherche à en savoir plus sur l’Atlantide sibérienne de Charlotte : « Je me penchai sur ces vieux papiers comme un corsaire sur le trésor d’un coffre ». Il découvre que la littérature est un luxe, à la manière de ces mots dont sa sœur et lui se régalent par exemple le jour où ils font la queue devant une épicerie pour obtenir leur ration de nourriture : « bartavelles et ortolans truffés rôtis... », liste de mots qui, d’après la grand-mère, figuraient au menu du tsar de passage à Cherbourg avant le naufrage du tsarisme.

   Mais les choses ne sont pas si schématiques et le narrateur découvre au fil des années les lourds secrets que la grand-mère a cachés. La vérité crue, c’est qu’à la manière d’un romancier exalté, elle a falsifié la réalité et répandu de l’eau de rose sur son passé. Et de ce fait, l’écrivain se demande s’il ne doit pas à cette grand-mère, à cette « P’tite Bill » pour reprendre le thème d’une chanson de Souchon, ce tempérament trop élégant, trop romanesque, et comme il l’écrit « Cette sensiblerie française qui m’empêche de vivre ».

   Témoin de cette tension entre le réel et sa représentation ce poème fameux de Baudelaire cité dans l’ouvrage et qui met merveilleusement en scène masculin féminin : « Parfum exotique » : la grand-mère le relit avec ce sens critique que lui donne sa propre expérience... Baudelaire qui, quand il aime les femmes, les respire par les cheveux ou par les seins et ainsi appareille pour des pays lointains où règne un goût de paradis et où il écoute « le chant des mariniers » au dernier vers. Il est plaisant de noter que la grand-mère juge cette fin particulièrement mièvre et préfère la traduction qu’en donne l’un des traducteurs russes de Baudelaire : « le chant des marins criant en plusieurs langues ». Extrait p285-286 : Relisons le poème pour le plaisir :

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers

Aix (11) [1600x1200]


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