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Coût de l’immigration : Jean-Paul Gourévitch répond à Marie Bellan, des « Échos »

Publié le 06 mai 2011 par Lecriducontribuable
Les Echos

L’article de Marie Bellan publié par Les Échos du 26 avril dernier,« Immigration : quel enjeu pour l’économie française ? » qui prétend à partir de l’analyse des chiffres « bousculer quelques idées reçues » est en fait un amalgame de données organisées autour d’un plaidoyer pour une immigration qui serait rentable.

Le nombre d’immigrés sur le territoire français

L’auteur adopte la définition classique de l’immigré : « personnes étrangères nées hors de France » pour conclure que la France compte 5 millions d’immigrés. Ce chiffre correspond à celui de l’Ined pour 2006 (4,93 millions). Nous sommes en 2011. L’auteur admet elle-même que le solde migratoire net est de 100 000 personnes par an. On devrait donc avoir un chiffre autour de 5,5 millions. Dans cette population, le nombre de moins de 18 ans est très faible car la définition de l’immigré ne tient pas compte de la population née en France dont les parents sont étrangers , qui a des besoins spécifiques en matière de santé, d’environnement, d’éducation, et qui compte environ 2,3 millions de moins de 18 ans. D’où notre estimation actuelle de 7,7 millions de personnes d’origine étrangère dont 5,4 millions de plus de 18 ans.

Le nombre d’entrées

Pour démontrer que la proportion d’immigrés n’augmente pas, l’auteur éprouve le besoin de remonter aux années 1920, donc juste après la Première guerre mondiale où la moyenne d’entrées en France était de 300 000 immigrés qu’elle compare aux 200 000 l’an dernier en ajoutant : « C’est à partir de 1974 que ces flux ont été régulés et, depuis une vingtaine d’années, les arrivées d’étrangers non communautaires se sont stabilisées autour de 150 000 à 200 000 personnes. » Une analyse plus objective des chiffres portant sur les dix dernières années ferait apparaître qu’effectivement 198 604 titres de séjour ont été accordés en 2010 aux étrangers non communautaires (l’obligation d’un titre de séjour a été supprimée pour les résidents européens de l’Union européenne depuis 2003 et confirmée en 2006) mais que ce nombre est supérieur, même s’il y a eu des pics variés, à celui des années précédentes (par exemple 97 083 en 2000, 135 395 en 2003, 171 222 en 2007) . Encore faudrait-il préciser qu’il s’agit des étrangers recensés, lesquels excluent les migrants irréguliers.

Le solde migratoire

Nous sommes ici dans la manipulation des chiffres dont il faudrait déterminer si elle relève de la malhonnêteté intellectuelle ou de l’ignorance. La journaliste met en regard face aux 150 000 à 200 000 le chiffre de 100 000 individus qui quittent la France chaque année dont elle précise que ce sont « des immigrés rentrant chez eux ou des Français partis à l’étranger » pour conclure : « Autour de 100 000 personnes par an , en moyenne, restent donc à accueillir. Un chiffre bien modeste comparé aux autres pays développés . La Norvège, l’Italie ou l’Espagne ont une proportion d’immigrés plus de deux fois supérieure à la nôtre ».

Il s’agit bien de faire croire que l’immigration est plus faible en France qu’ailleurs. Position qui est probablement celle des Échos où Marie Bellan a succédé à Carine Fouteau qui avait adopté dans ses écrits des positions ouvertement immigrationnistes. Malheureusement ce n’est pas ce que disent les chiffres.

Premièrement, si on n’a pas recensé les migrants irréguliers dans les entrées, on ne peut pas non plus les décompter dans les sorties. Les quelques 29 800 retours aidés ou reconduites de 2008 ou de 2009 ne sont donc pas comptabilisables. Quant aux chiffres des sorties, ils sont surréalistes. Le registre mondial des Français, la consultation des tableaux statistiques de l’OCDE nous ont amené à chiffrer dans la monographie sur le coût de l’émigration le flux des départs de Français annuels à 233 000 et celui des retours à 168 000, soit un solde migratoire de Français négatif de 65 000. A supposer même que sur 100 000, tous les autres 35 000 soient des étrangers non communautaires, ce qui est manifestement impossible, la France devrait en accueillir au minimum 198 604 moins 35 000 soit 163 000 et non 100 000.

Quant à la comparaison avec les autres pays, elle est également truquée. L’Espagne, suite aux diverses régularisations, comporte effectivement 6,1 millions d’étrangers mais seulement 4,8 millions d’étrangers non communautaires (10,2% de la population) dont plus d’1,3 million de Roumains et de Bulgares et le gouvernement Zapatero regrette aujourd’hui amèrement sa politique d’accueil passée. L’Italie avec 4,235 millions d’étrangers au début de l’année 2010 (mais 4,9 selon les estimations de Caritas) se situe entre 7 et 8% d’étrangers, dont plus de 800 000 Roumains. Quant à la Norvège elle accueille certes 10,6% d’immigrés mais la moitié sont … suédois. Et le nombre des étrangers non communautaires n’est que de 250 000 soit 5,32% de la population. Nous sommes donc loin des chiffres produits par le journal.

Les comptes sociaux de l’immigration

La journaliste reprend le rapport Chojnicki du laboratoire l’Equippe de l’Université de Lille dont une des personnes interrogées, Lionel Ragot, est effectivement un co-auteur. Elle est bien obligée de citer des conclusions selon lesquelles « les immigrés issus du Maghreb et ceux issus du reste de l’Afrique sont respectivement 1,6 et 1,7 fois plus nombreux à recevoir des allocations chômage, 3,8 et 3,9 fois plus représentés parmi les bénéficiaires du RMI ». Mais comme il ne faut surtout pas accréditer l’idée que les immigrés coûtent à la France plus qu’ils ne rapportent, elle s’empresse de faire dire à Lionel Ragot que « la différence de structure par âge de la population immigrée, regroupée dans les classes d’âge actives, [...] conduit à une contribution nette moyenne des immigrés au budget de l’Etat supérieure à celle des natifs ».

On rappellera courtoisement à Marie Bellan qu’elle aurait dû prendre la peine de lire le rapport Chojnicki (il est vrai qu’il comporte plus de 200 pages et qu’il est difficilement compréhensible pour un polytechnicien moyen). Elle aurait pu constater :

  • que le rapport repose sur des chiffres de 2005 (ce qu’elle ne nie pas) et sur un taux de chômage moyen de 5,94% très loin de la situation actuelle ;
  • que les immigrés travailleurs sont considérés comme des migrants en situation régulière acquittant les mêmes taux de cotisations patronales et salariales que les autochtones, ce qui ne tient pas compte de l’importance du travail illégal, des diverses fraudes ni des cotisations parfois prélevées par les patrons mais non reversées ;
  • qu’en aucun cas, ces coûts ne représentent la totalité des dépenses laissées à la charge des finances publiques par l’immigration. Il faudrait en effet y ajouter la partie des coûts sociétaux et fiscaux (travail illégal, fraude, contrefaçon, prostitution…) qui relève de l’immigration pour 13,65 milliards d’euros, ceux de l’aide médicale d’Etat, des retentions et des reconduites, celui de l’accueil de 270 000 étudiants étrangers, les coûts de structure, les coûts sécuritaires, voire la part de l’Aide publique au développement en direction des pays d’origine de l’immigration qui vise à freiner le désir d’émigrer.

Elle aurait pu également interroger le professeur Chojnicki lui-même, qui dans la lettre qu’il nous a adressée, suggère d’utiliser avec prudence ces chiffres, une prudence telle qu’après avoir écrit que les immigrés rapportaient quelque 12,4 milliards d’euros de bénéfices pour les finances publiques, il s’est empressé de corriger par téléphone son diagnostic à la journaliste du Monde en le réduisant à 4 milliards (cf. Le Monde du 12 avril 2011) .

Mais la journaliste des Échos n’a sans doute pas lu l’article du Monde, dont le titre était « Controverses sur l’impact économique de l’immigration ». Il ne peut y avoir de controverses quand on veut démontrer, à rebours de toutes les études conduites jusque-là, que l’immigration est un bienfait économique pour la France. Et on se garde bien dans ces conditions de recueillir le point de vue de l’auteur des trois monographies publiées pour Contribuables Associés et de l’ouvrage L’immigration, ça coûte ou ça rapporte ? (Larousse 2009).

Jean-Paul Gourévitch, consultant international sur l’Afrique et les migrations

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