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Chronique du Week End: limiter l’illimité

Publié le 07 mai 2011 par Brokenbird @JournalDuGeek

Internet et les webservices… Ces grands « Far West » (merci monsieur le Président) ont toujours été considérés et vécus comme des territoires immenses, dont l’accès le plus illimité s’est vite imposé comme le corollaire nécessaire

L’histoire a été dans ce sens puisqu’en 15 ans, les offres se sont multipliées, comme les débits, comme les prix se sont divisés, le tout à mesure que l’illimité devenait la norme. Aujourd’hui en transition vers une économie d’accès, nous payons une somme fixe et obtenons en retour un accès à tout, tout le temps, de manière égalitaire.

Une vision des choses en train de changer alors qu’à travers le monde, les opérateurs, inquiets de l’explosion de la bande passante nécessaire aux nouveaux usages, mettent en place des limitations et des caps d’usages. En France, les choses s’initient de manière moins brutale, mais également moins claire avec la fameuse affaire « Free vs. Youtube », qui agite les débats depuis quelques mois.

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Ce clash va-t-il entraîner la fin de « l’ère illimitée » ? Qui doit plier ? Est-ce pire autre part ? Réponses dans la suite.

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MEME PAS CAPS

C’est un coup de gueule du blogger Korben qui a posé, démontré de manière claire et simple ce que tout le monde constatait dans son coin depuis plusieurs semaines : certains fournisseurs d’accès Internet brident les débits de Youtube et autres services lourds en bande passante. Dans un bras de fer mêlant mauvaise foi, politique de l’autruche et vrai débat sur le poids des nouveaux usages sur un modèle économique en place, il en est surtout ressorti un symbole assez fort : pour la première fois, notre accès à Internet semble avoir fait un clair pas en arrière. Après des années de bonds en avant en terme de débit, de confort et de tarifs, nous voyons poindre une limite.

Des limitations dans l’illimité ? Cela nous paraît aujourd’hui scandaleux, mais la chose existe déjà dans nos forfaits téléphoniques, où les forfaits « data illimité » se voient sérieusement limités par un ralentissement de débit si l’on dépasse le Giga Octet fatidique, symbole du terme à la mode ici et outre-atlantique : les « Caps ». Sémantiquement, le processus est hautement pervers, en ce sens que l’opérateur ne vous coupe pas l’accès à Internet, mais en bride juste sa qualité. L’offre ne ment donc pas : on peut utiliser du data de manière illimitée – si l’on ne parle pas des conditions d’accès.

Les limitations, ce sont aussi les « choix » d’appareils. Oui, ce forfait permet l’accès illimité au data, mais juste sur ce téléphone. Pour transférer ce data sur une tablette ou un laptop, il faudra repayer un nouveau forfait dédié en sus. Sympa… Mais ne nous gargarisons pas trop vite : la situation n’est en effet pas plus jolie dans d’autres pays « développés » du net. Voire pire.

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PENDANT CE TEMPS LA, AUX USA D’AMERIQUE…

Depuis lundi, les Etats-Unis viennent également d’entrer dans un nouvel âge de l’accès à Internet, avec l’officialisation de limitations autrement plus frustrantes : les plus gros opérateurs viennent ainsi de (re)mettre en place des « caps » de bande passante, comme au bon vieux temps.

L’offre ADSL d’AT&T (numéro 2 du marché) se retrouve ainsi limitée à 150Go par mois, avant de réclamer 10$ en plus pour toute tranche de 50Go consommés au delà du forfait initial. L’ennemi n’est ici pas Youtube ou même Bittorrent, mais Hulu et Netflix, des services de contenus à la demande extrêmement populaires aux U.S.A. Tellement qu’ils sont en train de renverser les offres câble et satellite.

Problème, une heure de programme haute définition sur Netflix consomme déjà plus de 3Go, comme le précise l’excellent article de Wired. Et ceci pour un seul poste, quand nous savons qu’un accès sert souvent plusieurs personnes (bureau, famille, colocation etc.)

Ce bridage qui fait débat aux Etats-Unis, fait également écho à la polémique similaire provoquée l’année dernière par l’opérateur leader au Canada Rogers, qui a imposé l’année dernière des caps drastiques (download, upload, débit, tarif au Go supplémentaire) sur ses forfaits, une opération « séduction » bien sûr suivie par tous les concurrents canadiens.

Les coups de force des F.A.I ne sont cependant la seule issue possible au problème.

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LA POSSIBILITE D’UN DEAL

Les dénouements possibles sont pluriels :

Les F.A.I cèdent
C’est la solution qui me paraît la plus logique, d’un point de vue consommateur. Face à la grogne, voire le boycott de leurs clients, les fournisseurs d’accès vont peut-être devoir réouvrir les vannes sans discrimination et revoir leur business model.
Ce dernier, loin d’être en danger, devra se baser sur un calcul de la baisse du prix de la bande passante plus rapide que la montée quantitative de cette dernière. Un peu comme les propriétaires jonglaient entre les taux d’intérêts des banques et l’accélération du taux d’inflation, pour emprunter « gratuitement », il y a quelques années.

Les sources de contenu lourd cèdent
C’est ce que les F.A.I désirent, mais cela me paraît totalement impossible, en pratique. Déjà, car cela serait totalement discriminatoire. Qui devrait payer pour les autres ? A quel moment serait-on considéré comme trop « gourmand » en ressources ? Y-aurait-il également un taux proportionnel, une amende à chaque « cap » passé ? Cela paraît totalement ingérable et c’est pourtant ce que les F.A.I demandent aujourd’hui à Google par exemple.

Une intégration tuyau/contenu
L’une des issues à peine masquées par les F.A.I serait de racheter ces services, ou de proposer les leurs. Orange n’a-t-elle pas pris part dans Dailymotion dans ce but ? Le tout se tient : les F.A.I, qui jalousent les portails de contenus pour les bénéfices qu’ils génèrent « sur leur dos », ont tout intérêt à en intégrer un maximum, pour récupérer la manne financière, offrir un service illimité à ses client et les fidéliser.
La solution n’a pas que des avantages, d’un pont de vue indépendance éditoriale par exemple, mais fait sens pour les deux parties… Sauf si l’une des cibles se révèle imprenable, comme Google par exemple.

Une relance de la concurrence

Le cycle économique ne change jamais vraiment :

  • un nouveau marché se crée, sous forme atomique, avec une multitude d’offres pour une demande en croissance
  • sous l’effet de la concurrence, une purge se crée, balayant toute une partie de l’offre
  • pour tenter de dominer le marche, les offres restantes se regroupent et fusionnent
  • nous entrons dans une économie de monopole ou d’oligopole : l’offre est unique ou concentrée dans un très petit nombre d’acteurs, qui contrôlent le marché
  • une nouvelle concurrence peut arriver pour relancer un marché conservateur par l’innovation ou par le prix

Dans l’univers des opérateurs téléphoniques et d’Internet, il est facile de caser les noms dans les cases pour revoir en accéléré la naissance de notre marché, les premiers opérateurs historiques, les concurrents, les faillites, les rachats et aujourd’hui, 4 noms pour ces deux immenses marchés : Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free (2012, côté téléphonie).

Pour en revenir au cas de Free, le virage est inquiétant. Le groupe Iliad a toujours été réputé pour jouer le rôle le trublion, celui de la dernière phase économique sus-citée : avec ses offres triple play, son explosion du débit, son fameux tarif à 29,99 euros et ses services, Free avait donné un énorme coup de pied dans la fourmilière des F.A.I et immédiatement ringardisé Wanadoo, AOL et consorts.

Le succès de Free avait au passage propulsé la France d’un pays en retard sur Internet à l’un de ses fer de lance en terme de qualité, de débit, de tarif et de d’adoption dans le monde, aux côtés de la Corée du Sud, du Japon et de la Scandinavie. Et Free compte bien réitérer son approche aggressive côté téléphonie en 2012, avec déjà des promesses de tarfis 50% inférieurs à ce qui se pratique actuellement selon les mots de Xavier Niels, le PDG. Mais côté Internet, c’est l’inquiétude.

Car après après avoir bousculé la hiérarchie des F.A.I et recruté quelques 4 millions d’abonnés en France, Free se comporte comme le leader conservateur, avec ses mesures de bridage sélectif de débit. Le marché semble en effet désormais bien locké sur ce secteur : je ne vois pas quel groupe aurait les ambitions et les moyens de venir se faire une place au soleil d’un marché déjà saturé et qui ne peut plus vraiment exploser. C’est souvent lorsque les choses se fixent trop que l’innovation et l’agressivité meurent. Voir Free mettre en place des pratiques abusives de leader de marché, voir le trublion devenir l’institution ne fleure rien de bon pour l’avenir.

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AVONS NOUS VECU L’AGE D’OR DU DATA ?

La grogne que suscite l’affaire « Youtube contre les F.A.I » ne doit pas être prise à la légère. Les mouvements stratégiques opérés par les opérateurs internet et téléphonie dans le monde vont en ce sens : non seulement ils brident notre usage de data, mais ces décisions sont en plus concertées, les opérateurs semblant tous bouger de concert dans la même direction. L’ère de « l’illimité » que nous avons connu ces dernières années est-elle révolue ? Avons-nous connu un âge d’or qui ne se réitèrera jamais ? Je ne suis pas sûr.

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A court terme, nous risquons de vivre effectivement un retour en arrière en terme de confort et de liberté d’utilisation. Personnellement, j’en frissonne d’avance. Je n’ai pas envie d’aller sur Youtube en croisant les doigts, je n’ai pas envie de matter une V.O.D en regardant d’un air inquiet mon compteur de data affiché en permanence sur le coin de l’écran… L’ère 56k et ses « chaque minute compte » nous a suffisamment traumatisé comme ça. Et c’est l’illimité qui a fait exploser le net dans le monde, au moins autant que ses contenus.

Instaurer des caps et des limitations est un jeu très dangereux que les opérateurs semblent prêt à jouer. En ce faisant, ils vont non seulement frustrer les utilisateurs (qui pourraient alors se reporter sur d’autres médias), mais également ligaturer l’innovation et tuer des compagnies sur Internet. Qui aura envie de lancer un service de cloud à la Dropbox ou de films à la demande s’ils se savent exposés de base des sanctions financières ou techniques ? Or, le cloud et le stream sont les deux visages de l’avenir du data. Un avenir qui s’assombrit aujourd’hui, mais qui pourrait connaître une éclaircie.

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SOIR ET WEEK END ET MORALE

Vous vous rappelez le fameux forfait illimité Soirs et Week End d’SFR ? C’était il y a quelques années, une offre incroyable : en plus des heures de communication, tout les appels devenaient illimités entre 20h et 8h du matin, plus les week ends et jours fériés, pour un tarif somme toute raisonnable. Les clients ne s’y sont pas trompés et SFR en a vendu un paquet (j’en avais pris 3) dès le 16 Décembre 1999… Avant de le faire disparaître de leur grille 6 semaines plus tard, le 16 Janvier 2000, tant ce forfait leur coûtait cher, puisqu’il avait instauré de nouvelles pratiques du genre :

Attends, je te rappelle à partir de 20h00 !

Hey, t’es sous SFR ? Nickel, je te rappelle, je suis en illimité

etc.

Cela nous paraît aujourd’hui familier, mais il y a 12 ans, c’était une révolution. Mais SFR, traumatisé par l’expérience, avait tenté par tous les moyens de brider l’expérience : proposition de rachat de forfait, décrochage d’appels fréquents, incessibilité du forfait, programme de renouvellement de mobile nullissime etc.

Et finalement, ce système de forfait illimité s’est démocratisé pour aujourd’hui devenir la norme.

Une offre très innovante qui devient gênante avant de devenir la norme, cela ne vous rappelle rien ? Oui, nos F.A.I. en 2011. Je pense que limitations sont des désagréments structurels d’un média qui ne cesse d’évoluer technologiquement et en usage: On ne peut savoir de quoi sera fait Internet dans 5 ans, contrairement aux autres médias.

Régulièrement, l’innovation appelée à façonner demain se heurte aux modèles économiques en place aujourd’hui. Mais l’histoire prouve que l’innovation l’emporte souvent. Enfin que l’économie trouve un moyen de tirer profit de cette innovation, après l’avoir subie.

Un accès Internet bridé de manière sélective me paraît un suicide commercial à moyen terme. Je fais donc le pari que les chatons de youtube l’emporterons au final.

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“Les Chroniques du Week End sont des réflexions de Lâm Hua sur la culture et l’industrie geek. Elles engagent les opinions de leur auteur et pas nécessairement celles de l’ensemble de la rédaction du JDG.

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Vos meilleurs commentaires et suggestions : à vous de jouer !


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