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« Shalom Bollywood », l’histoire oubliée des actrices juives indiennes

Par Mickabenda @judaicine

ben-moshe-pageProfesseur en sciences politiques à l’université de Victoria à Melbourne, Danny Ben-Moshe prépare actuellement un documentaire retraçant l’histoire des juifs dans le cinéma en Inde. Une communauté ultra minoritaire dont les femmes ont pourtant longtemps occupé le haut de l’affiche à Bollywood. Entretien

Comment avez-vous commencé à travailler sur ce projet et à vous intéressez aux juifs de Bollywood ?

Je suis spécialisé dans l’histoire des diasporas et l’identité juive et un jour, une de mes assistantes de recherche, étudiante en thèse m’a montré un article paru en 2006 pour la mort de Nadira, une des premières actrices indiennes, qui était juive. J’ai trouvé ça assez intriguant et j’ai donc creusé plus en profondeur, avec dans l’idée de faire un film sur elle car c’est un personnage fascinant. J’ai ensuite découvert qu’elle était une des nombreuses actrices juives qui ont joué un rôle important à Bollywood.

En Inde, les rôles de femmes étaient au départ interprétés par des hommes, le métier d’actrice étant mal vu dans la religion hindoue et musulmane. Quand les premières actrices juives sont-elles apparues ?

Dès le début. Ce sont les premières femmes à jouer à Bollywood. Elles étaient pour la plupart issue de la communauté juive de Bagdad qui a immigré en Inde. Elles avaient la peau plus claire et étaient souvent très belles. De la première guerre mondiale à la fin des années 20, personne n’avait autant de succès que Ruby Mayer par exemple. Mais la plupart du temps, leur nom de scène ne permettait pas de savoir qu’elles étaient juives. Pramila, dont le vrai nom est Esther Abrahams, un nom très juif, est devenue la première Miss Inde en 1947. Il y avait aussi quelques hommes. Un certain Joseph Penka a écrit le premier scénario de film muet à Bollywood. David Herman est le seul acteur juif qui s’est réellement imposé en Inde.

Ces actrices jouaient souvent des rôles de vampes, de séductrices…

Je pense encore une fois que c’était la beauté de ces femmes qui guidait le scénario des films. Elles jouaient des femmes tentatrices qui cherchaient à détourner l’homme du droit chemin. Pour jouer un personnage à fort caractère sexuel, c’était moins contraignant quand on était issu de la communauté juive.

Vous expliquez qu’à Bollywood les juifs occupaient les premiers rôles alors qu’à Hollywood ils étaient très présents dans l’industrie mais rarement sur le devant de la scène à ses débuts. Pourquoi cette différence?

Les deux industries se dont développées très différemment. A Hollywood, les grands studios ont été montés par des juifs, mais c’était des immigrés arrivés récemment aux Etats-Unis. Ils avaient souvent des accents d’Europe de l’est très prononcés et avaient donc peu de chances de percer en tant qu’acteurs! C’était des gens plus âgés qui se sont trouvé une niche. Ils ont créé Hollywood pour devenir américains, alors que les juifs d’Inde étaient déjà indiens.

En Inde, il y avait une mixité très naturelle entre les communautés que l’on retrouve dans les personnages que j’explore dans ce documentaire. Parmila était mariée à un musulman et a un fils musulman qui est marié à une hindoue ! Lorsque j’ai rencontré sa petite-fille, elle m’a dit qu’elle se sentait à la fois juive, musulmane et hindoue. Nadira était attachée à ses racines juives mais possédait une vaste bibliothèque contenant des ouvrages sur différentes religions et croyances.

A Konkan, dans le sud de l’Inde, il y a un site qui selon la croyance juive correspond à l’endroit d’ou le prophète Eliahou est monté au paradis. Les hindous viennent y brûler des bâtons d’encens. Je me souviens aussi avoir rencontré une femme indienne qui travaillait dans une synagogue. Je lui ai demandé si elle était juive et elle m’a répondu qu’elle était hindoue mais qu’elle travaillait là pour se rapprocher de Dieu. C’est cette histoire fascinante de coexistence entre les communautés en Inde que j’ai voulu raconter.

Y-a-t-il encore des juifs à Bollywood aujourd’hui?

Il n’y a plus de stars, mais il y a le fils de Pramila, Haider Ali, qui travaille en temps que scénariste, et quelques autres. Après l’indépendance de l’Inde et surtout la création d’Israël un an plus tard, la majorité des juifs d’Inde ont quitté le pays. A l’indépendance, il y avait environ 100 000 juifs en Inde, aujourd’hui il y en a entre 4000 et 6000. La mort de Nadira a sonné le glas des acteurs juifs à Bollywood.

Comptez-vous venir en Inde pour montrer ce documentaire?

Peut-être, mais je pense qu’il n’est pas spécialement destiné à un public indien, car il contiendra beaucoup d’informations qui paraitront évidentes pour ceux qui connaissent un peu l’histoire de Bollywood.

Quand sera-t-il prêt ?

J’espère le finir d’ici un an. Ca va dépendre de ce que je trouve dans les archives nationales à Pune. Je prépare également un livre intitulé Shalom Bollywood, mais j’ai d’abord deux autres documentaires à finir!

Antoine Guinard


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