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Bas les masques !

Publié le 26 mai 2011 par Christianpoulot @lemodalogue

Bas les masques !

Parfois de drôles de recoupements se produisent. Ce fut le cas ce week-end alors que je consultais mes photos et vidéos du défilé de l’Atelier Chardon Savard. Les silhouettes de Clara Degand, créateur de niveau II dans le cursus de l’école, étaient bâties, en partie, autour du thème de l’origami.
Le détournement de l’origami en mode n’est certes pas nouveau. Ne serait-ce que l’an dernier au Festival de la mode d’Hyères, Alexandra Verschueren, n’était pas très éloignée de cette thématique. Viktor & Rolf pour l’automne-hiver 2012 ont traité le sujet de façon très couture sur certaines silhouettes et John Galliano pour Dior à fait de même pour le printemps-été 2007.

Une convergence autour du masque
Ce qui m’intéresse chez cette jeune créatrice ce sont les masques fait tantôt de papiers pliés/dépliés tantôt d’origamis. Le visage prend alors un aspect « facettes 3D » très video-graphique.

Simultanément, le magazine Art Press du joli mois de mai posé près de moi était ouvert sur un article traitant des masques dans la musique. Au sol, gisait une pile d’archives papier dont la première coupure exhibait fièrement un article du journal Le Monde datée du début du XXIe siècle! L’article en question traitait de la disparition du costumier de théâtre et concepteur de masques Rostislav Doboujinsky.

Bas les masques !

Ci-dessous une création de Rostislav Doboujinski que l’on peut mettre en parallèle avec une des robes arborant un masque sur la poitrine de Clara Degand (00:19 sur la vidéo).

Bas les masques !

Rostislav Doboujinski, masque pour The sleeping beauty, 1968, copyright Victoria and Albert Museum

Le lendemain lors d’une réunion de travail, le thème du masque est revenu sur le table et de nouveaux sujets de réflexion sont apparus.

Nous avons évoqué, bien entendu, la dimension mystique du masque, sa fonction d’intermédiaire entre le réel et le surnaturel.

En tant qu’accessoire de mode, c’est un objet qui est rarement utilisé. Pourtant on travaille tout autour du visage, la coiffe (chapeau, capuche), les yeux (lunettes), le cou (l’écharpe, les nœuds), les oreilles (boucles) mais rarement la face (excepté via le make-up). On ne le voit guère sur les podiums agrémenter une tenue, même pour le decorum ou comme Mario Faundez le fait au moyen de détournements (ici des casquettes).

Le masque-armure
Le masque fait peur car il fait disparaître le visage. Notre société interdit de se voiler la face. Sous le masque on saisi difficilement notre regard et nullement nos expressions de visage. Allant nu et masqué on en serait moins saisissable et sans doute, aussi, plus sûr de soi. Le visage qui s’empourpre, les lèvres qui se crispent et le front qui se plisse sont alors indétectables, le masque se fait armure. Bas les masques !

Ci-dessous une armure de plaques du XVIe siècle et le vêtement de guerrier urbain Puma x Vexed Generation de 2005, notez la similitude des masques.

Bas les masques !

Maximillian jousting armour (1525-1600)

Bas les masques !

Puma x Vexed Generation

Le masque et la dualité
Ostentatoire, le masque est l’atour de la séductrice au bal –qui se donne–, une armure faite pour charmer. Dépouillé il pare aussi les dangereux détraqués –qui retiennent– des films d’ados.

Selon que l’on voit les choses de façon positive ou négative, les masques de Clara Degand sont comme des origamis que l’on aurait déplié (ouverts, le don) ou au contraire des feuilles que l’on aurait plié (fermées, la retenue). Le masque révèle pleinement sa fonction duale. Tel Janus aux deux visages (ci-dessous).

Bas les masques !

Pièce représentant la divinité romaine Janus

La peur du masque
Et que dire de la cagoule? On pense alors à braquage de banque. On la tolère pour les enfants, mais les adultes sont priés de s’abstenir, même lorsque American Apparel tente de la
réhabiliter ou que la hype nous ressert des cagoules de catcheur. La cagoule fait peur. Surnom donnée à une organisation subversive des années 30, elle est cet accessoire qui occulte toute ou partie du visage et vous rend mystérieux (lire le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux).

Le masque fait référence a des choses enfouies en nous, il participe à un comportement tribal, au chamanisme, il appartient au passé, il est archaïque. Multicolore ou monochrome, de bois brut ou de carton, charmant ou effrayant, il fait de son porteur un intriguant.

Danses bergamasques et jeu de scène
Tom Cruise, Russell Crowe… Doit-on s’étonner lorsque l’on découvre sur les silhouettes de Clara Degand des stars hollywoodiennes imprimées? Non si l’on reconnaît au masque sa valeur symbolique permettant de dissimuler une partie de soi pour mieux personnaliser un individu, incarner un personnage, être acteur.

On cache son visage et l’on exprime en revêtant l’habit (autre rite?) le désir d’incarner un autre, « de s’approprier sa célébrité » (Lady Gaga, in Art Press, n°378), de le posséder.

Tout cela s’exprime parfaitement sur les podiums des créateurs avec les mannequins. Sacrées l’espace de quelques secondes, elles arborent regard perçant et sourire glacé (portent le masque) sur leur visage, pour coller au désir des photographes de magazines.

Le masque est alors, cet intermédiaire entre monde réel et monde imaginé, qui fait d’elles des avatars. Elles sont proches du théâtre, dont le symbole est un double masque. Gageons que le défilé terminé elles tomberont le masque.

Bas les masques !

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