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Débat entre Hubert Védrine et Robert Kagan sur le néoconservatisme et l'hyperpuissance américaine

Publié le 10 février 2008 par Bigmac

L’Ancien Ministre des Affaires étrangères français (1997-2002), Hubert Védrine, et le politologue américain néoconservateur, Robert Kagan, ont débattu pour Le Figaro sur le bilan diplomatique des deux mandats de George W.Bush, de l’influence des néoconservateurs et de l’avenir de l’Amérique. Voici l’essentiel de ce qu’on pouvait retenir de cet entretien... Le débat démarrait sur le bilan de l’action de G.W Bush durant ses deux mandats et particulièrement sa politique étrangère.
Sur ce point, R. Kagan reconnait le courage du Président républicain d’avoir voulu instaurer la démocratie en Irak, et surtout d’avoir refusé le retrait des troupes américaines malgré la grande impopularité au sein des Américains et des Occidentaux en général. Soulignant les mauvaises relations transatlantiques sous la Présidence Bush Jr., Kagan reconnait qu’un changement de présidence est désormais bénéfique aussi bien pour les Etats-Unis que pour le reste du monde. L’ancien Ministre des Affaires étrangères français distingue quant à lui la politique étrangère américaine menée au Proche et Moyen-Orient et celle menée dans le reste du monde. Hubert Védrine estime que les Etats-Unis ont globalement un bilan plutôt positif dans l’ensemble du monde grâce à une diplomatie classique, réaliste et assez raisonnable. Pour la région du Proche et du Moyen-Orient, l’ancien chef de la diplomatie française critique davantage l’Administration Bush. Le fait d’avoir accordé – pour des raisons idéologiques - la priorité à la démocratisation des pays arabes (de gré ou de force) au détriment de la résolution du problème palestinien a conduit les Etats-Unis dans une impasse menant à la guerre en Irak selon le diplomate français. Il salue néanmoins la volonté affichée – même si elle se manifeste tardivement - du Président américain pour débloquer la situation au Proche-Orient par son soutien notamment à la création d’un Etat palestinien.
Le politologue américain a concédé que les conseillers de G.W. Bush avaient eu une vision erronée de la situation au Proche-Orient et fait part de son incompréhension concernant la différence de diplomatie entre le premier et second mandat de G. Bush père. Rappelant la difficulté pour les Etats-Unis de faire de réels progrès après l’accession du Hamas au pouvoir en Palestine, Kagan conteste M. Védrine lorsque celui-ci affirme que la politique des Etats-Unis aurait été orchestré par le Likoud (le parti du Premier ministre Israélien E. Olmert), et souligne que la volonté de démocratisation est « consubstantielle à l’Amérique » et non pas propre à G.W. Bush. Il ajoute que la politique étrangère des Etats-Unis ne doit pas se résumer à la question palestinienne et approuve l’importance accordée à la Chine et la Russie par l’Administration Bush dans sa politique étrangère. Préoccupé par les défis que posent ces deux pays, le néoconservateur affirme que les relations avec ces deux « challengers » détermineront l’avenir du monde.
Reconnaissant l’ancienneté de la promotion de la démocratie par les Américains, H. Védrine rappelle la croyance partagée des Européens pour leur « mission civilisatrice », mais qu’il s’agit bien des moyens employés par les Etats-Unis qui sont mis en cause. Pour l’ancien Ministre français, l’accession du Hamas au pouvoir résulte du refus des occidentaux de régler ce conflit plus tôt, de même que la logique des préalables sert de prétexte pour bloquer les négociations et du compromis territorial empêchant toute résolution finale du conflit.
La seconde partie du débat consacrée à l’ « hyperpuissance » des Etats-Unis (expression d’Hubert Védrine) visait à déterminer si ces derniers continueront à jouer ce rôle dans les prochaines décennies.
Sur ce point, les deux hommes s’accordent aisément. Pour eux, les Etats-Unis resteront encore longtemps la plus grande puissance. Pour le politologue américain, « les Etats-Unis représentent la démocratie la plus puissante au monde, sa force demeurera, que cela vous plaise ou non. Il y a de grandes chances pour que l’hyperpuissance des années 1990 soit celle des prochaines décennies ». La méfiance de R. Kagan envers la Chine et la Russie est récurrente durant ce débat. Elle s’explique par sa crainte de voir ces deux puissances émergentes de repousser les actions démocratiques des Etats-Unis et leur volonté de « préserver leur propre pouvoir autoritaire ». Cet antagonisme explique pourquoi Washington a déployé sa stratégie d’alliance en Asie avec des pays « authentiquement démocratiques ». Kagan remarque que l’Asie est le continent ou se déroule « la vraie révolution géopolitique» soulignant au passage le rapprochement stratégique entre les Etats-Unis et l’Inde, alors que New Delhi était plus proche de Moscou à une période récente de notre histoire. Le néoconservateur relève enfin l’arrivée de nouveaux leaders politiques - à l’instar du Président Sarkozy, prêts à consolider le partenariat franco-américain - ainsi que de nouvelles perspectives d’alliances plus claires et plus fortes avec des pays asiatiques défendant les mêmes principes que Washington. Cette situation présage par conséquent un renforcement du pouvoir des Etats-Unis à l’avenir.
L’ancien hôte du quai d’Orsay considère lui aussi qu’aucun pays ne pourra égaler la puissance des Etats-Unis pendant plusieurs décennies sans nier l’émergence de la Chine, le Japon, la Russie ou même l’Inde. Sa vision pour l’Union Européenne paraît catégorique : l’hétérogénéité au sein-même du Vieux-continent, son absence de vision stratégique l’empêcheront de concurrencer sérieusement les Etats-Unis. C’est pourquoi il en appelle à un partenariat renforcé entre Bruxelles et Washington afin de mener une politique intelligente face à la Russie ou la Chine et au Proche-Orient.
Sur ce dernier point, on regrettera que l’Ancien Ministre des Affaires étrangères se contente uniquement de prôner un renforcement du partenariat transatlantique. Sans remettre en cause la nécessité d’une telle coopération, on aurait préféré qu’Hubert Védrine rassure un minimum sur l’ambition de l’Union Européenne à devenir elle aussi une grande puissance, capable d’imposer ses propres normes (financières, environnementales, sociales…), capable de définir également une stratégie globale et cohérente face à la mondialisation pour ne pas devenir « l’idiot » du village global en protégeant notamment ses actifs stratégiques (défense, télécommunication, santé, biotechnologies, nanotechnologies…). En acquiesçant l’actuelle mainmise des Etats-Unis dans les affaires politiques européennes, nous resterons condamnés à faire de la figuration à long terme ! (voir notamment le billet du 6 février posté par Fred qui fait écho à la récente révélation des actions menées par les Etats-Unis sur la Présidence slovène pour jouer un rôle actif dans la reconnaissance rapide par l’UE de l’indépendance du Kosovo)
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Source : Le Figaro du 8 février 2008

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