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Quand Anne Marie Garat dompte les images et la langue...

Par Lethee

 

Cette année, Anne-Marie Garat boucle la trilogie qu'elle avait débutée avec Dans la main du diable. Son dernier volet, paru chez Actes Sud, Pense à demain, met fin à une épopée d'un siècle.

L'année dernière, elle avait bouclé une autre trilogie, remarquable. A cette occasion, elle m'avait accordé un entretien, qui paraîtra ici après demain.


Retour sur un chef-d'oeuvre en trois mouvements :

Au cours des derniers mois est paru chez Actes Sud le troisième volet d'une trilogie très particulière. Hongrie, de Anne-Marie Garat, boucle en effet un voyage au coeur du laboratoire littéraire.

Si l'exercice apparaît nettement comme tel aux universitaires, nul doute qu'il n'enlève rien au plaisir de lecture. L'amour de loin, La Rotonde et Hongrie sont respectivement une Image, un Panorama et un Blason.

Comment photographier les mots ? Permettent-ils de dilater le temps, un instant, de le décrire dans sa fuite ? Les mots, enfin, peuvent-ils expliquer leur provenance, et, les contours d'une origine dont nous n'avons pas conscience ?

Dans cette trilogie, l'auteur tente de dompter le langage, comme s'il était un pure sang fougueux au cou duquel seraient attachées les clés du temps, de la lumière, du son et de la conscience.

Dans L'amour de loin se dessinait une conversation entre crépuscule et sommeil, où l'évocation d'un souvenir vague était dissout et rappelé dans les vapeurs de l'inconscience, là où rêve et réalité finissent tôt ou tard par se confondre. La rotonde était ce temps distendu de la trajectoire d'une balle depuis sa source jusqu'à sa destination, en passant par le valsé d'une hanche, le cri d'un enfant, des boucles d'oreilles qui se balancent : autant d'événements parallèles à la balle, qu'on ne perçoit ni n'appréhende mais qui existent et donc, s'inscrivent aussi dans le temps.

Hongrie, c'est le titre du Blason. Celui qu'un ami de l'auteur calquerait volontiers sur la carte d'identité de ses écrits. Et comment ne pas voir là Anne-Marie Garat elle-même puisqu'effectivement ses romans (et notamment Dans la main du diable et L'enfant des ténèbres, ses deux derniers succès chez Actes Sud) portent un peu le drapeau hongrois ? Alors, « pourquoi la Hongrie ? ». « Le temps de rejoindre l'arbre », dit l'ami, étudions la généalogie de ta plume, puisqu'elle se porte volontiers jusque là-bas...

Y a-t-il toujours une cause ? Une origine ? Un mobile ? Est-on attiré en écriture comme en vacances par le même pays ? Soudain une question : « Sommes-nous liés ? » D'où sommes-nous enfin et nous connaissons-nous vraiment ? Où sommes-nous attirés intimement pour être si différents dans notre lien indéniable avec l'autre ?

Puis c'est l'imagination qui s'offre une escapade. L'imagination s'offre une image au coeur d'une nation. La boucle est bouclée ou se boucle sous nos yeux de lecteur. Car l'ami pose une bien étrange question à laquelle l'auteur ne peut répondre à la légère, vite comme un enfant poserait le doit sur une image en disant « cheval ». On ne désigne pas l'essence de son inconscient d'un index pointé. L'image requiert du temps pour être dite, et encore plus pour être écoutée. Rappel de tout ce que signifiait La rotonde : « Tout cela s'est passé en un instant et dure à jamais » (p. 38). Douce formule dont le goût rappelle l'esprit de Proust, l'entêtement de Beckett, la saveur des plus grands poètes. Il y a la mère aussi, là en arrière-plan : femme couturière dont, maintenant romancier, on se souvient volontiers de l'art du tissage. Car le roman, la vie, c'est un peu pareil lorsqu'on écrit. Accoucher d'un roman c'est accoucher de soi-même, et avant cela, retourner dans ces limbes humides de « l'avant-naître », renaître encore et encore. Soudain on se dit que Beckett n'était pas écrivain pour rien, pauvre valdingué entre partir et revenir, perdu dans les pauses de son errance éternelle.

Dans toute image demeure un mystère, semble nous dire l'auteur. « Aucun dessinateur ne saura les tracer de sa mine de plomb, peintre les peindre de son pinceau (…). Autrement qu'en rêve, où verrons-nous ces images impossibles ? Quelle langue inédite dira les ténèbres dont nous venons ? » Peut-être celle d'Anne-Marie Garat.


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