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Syrie: le périlleux scenario irakien

Publié le 15 juin 2011 par Jcharmelot

Une désintégratrion de la Syrie est un objectif que des protagnistes du « Grand Jeu » au Moyen-Orient peuvent considérer comme souhaitable. Et dont les risques valent à leurs yeux d’être assumés, comme ce fut le cas lors des précédents du Liban et de l’Irak.   

La Syrie: un souci majeur

Aprés tout, une nation fragmentée, livrée à une lutte intestine permanente, et à la concurrence violente de ses différentes composantes ethniques ou religieuses, est une solution envisageable pour qui cherche à se débarrasser d’un pays, qui depuis des décennies est un souci majeur dans la région. Souci bien sûr pour Israël, et pour les Etats-Unis qui protègent l’état hébreu. Souci pour la France, qui a dû composer avec Damas au Liban. Mais aussi pour des pays arabes, comme les Saoudiens, qui ont renoncé à gérer avec les Syriens le dossier libanais, depuis que les alliés de l’Iran à Beyrouth, le Hezbollah, contrôlent la majorité au Parlement. Et pour la monarchie jordanienne, qui a fait la paix avec l’état hébreu, et qui voit de l’obstination dans le refus de Damas à faire de même, tant que les terres occupées et annexées du Golan ne lui auront pas été rendues. La liste certainement pourrait s’allonger de ceux qui verraient dans la désunion interne en Syrie une bonne manière de neutralier un pays arabe particulièrement rebelle. Et qui, de plus, a soudé avec Téhéran une alliance qui dure depuis la naissance de la République islamique en 1979.

Le précédent irakien

Cette stratégie de dislocation suivrait en celà l’exemple de celle mise en oeuvre par les Etats-Unis en Irak en 2003: dès le début de l’occupation américaine, l’autorité de transition a créé le cadre juridique et politique propice à l’émergence du confessionnalisme. La constitution et les lois électorales ont organisé la restructuration politique de la société le long de lignes de fractures historiques et religieuses. Face au chaos dans lequel a rapidement plongé le pays, les citoyens, privés de la protection de l’état, se sont réfugiés dans la sécurité offerte par les structures traditionnelles: la tribu, le clan, la famille, mais aussi l’appartenance ethnique, en l’occurence les Kurdes et les Arabes; ou l’affiliation religieuse: pour le cas de l’Irak, essentiellement la division née du schisme fondamental de l’Islam entre sunnites et chiites. Les Irakiens, qui se revendiquaient comme tels sous la dictature du parti nationaliste Baas, ont dû retourner à des définitions et des identités, dont ils connaissaient les dangers, mais dont ils n’ont pu s’échapper: sunnites, chiites, mais aussi kurdes et chrétiens.

Le Liban, disparu en 1988 

Auparavant, un autre pays arabe avait lui aussi cédé sous les pressions de ses propres dynamiques confessionnelles. Le Liban a sombré dans la guerre civile en 1975, et s’est fracturé en régions contrôlées par des milices religieuses rivales. Il a cessé d’exister comme entité nationale fonctionnelle en 1988 avec l’échec de la désignation de son président. La dislocation du Liban s’est accompagnée d’un cortège de morts, d’exils et de destructions. Et elle a également alimenté le terrorisme régional et international. Mais le conflit, clos en 1991, a finalement été « géré » par les principaux protagonistes régionaux ou internationaux sans que leur propre survie soit remise en cause.  

Les démons confessionnels réveillés en Syrie   

Depuis le début des violences en Syrie, le vocabulaire confessionnel a trouvé son chemin dans les commentaires de la presse et dans les analyses des experts. Le cadre de ces soulèvements et de leur répression, nous explique-t-on, est la domination par une minorité, les alaouites, d’une population majoritairement sunnite, et avec une forte composante chrétienne. Les alaouites, expliquent encore les experts, sont une secte chiite, qui a divinisé Ali, le neveu et gendre du Prophète. Le reste des chiites le considèrent comme un saint, et comme leur inspirateur, mais n’en ont pas fait une déité, ce qui serait totalement contraire à l’Islam, pour qui il n’y a de Dieu que Dieu. Le récit le plus largement accepté des évènements actuels en Syrie explique également que la famille Assad, elle même alaouite, fera tout pour se maintenir au pouvoir et assurer la pérénité de la domination de cette minorité. Dans ces explications, un rôle central est réservé à l’armée et aux services de sécurité dont le commandement est réservé à des officiers alouites, donc fidèles à la famille régnante.

La Syrie, où est né le nationalisme arabe

Pour autant, il est nécessaire d’ajouter une dimension à cette vision des tourments de la Syrie qui peut expliquer pourquoi les incidents violents qui se déroulent à huis-clos –puisque la grande majorité de la presse internationale ne peut pas entrer en Syrie–  n’ont pas encore pris la tournure d’affrontements généralisés. D’abord l’exemple de l’Irak sert de sévère avertissement aux Syriens qui, encouragés par les révoltes en Tunisie et en Egypte, voudraient braver la répression du régime de Damas.  La vague de violence qui a déferlé sur l’ancienne Mésopotamie à partir de 2004 a fait des centaines de milliers de victimes, tués, blessée, ou déplacés. Et les Syriens, dans leur immense majorité, doivent chercher à éviter un bain de sang. En outre, et ceci est un facteur essentiel, l’idée du nationalisme arabe –c’est à dire la négation des appartenances ethniques ou religieuses comme fondements de l’état et du pouvoir politique– est née à la fin du XIXème siècle à Damas et à Beyrouth, alors sous la domination des Ottomans. Par la suite, et jusqu’aux entretiens secrets à Damas, en 1915, entre Faisal, le fils du Cherif de la Mecque, Hussein, et les membres des organisations secrètes qui complotaient pour l’avènement d’une nation arabe, la capitale syrienne est restée un haut lieu du nationalisme arabe. Et cet héritage politique sert encore aujourd’hui de contre-poids aux tendances exogènes qui sont soulignées par une lecture confessionnelle des violences qui se sont déclenchées en Syrie.

La stratégie du « Clean Break »

La question aujourd’hui est véritablement de savoir dans quelle mesure la discorde alimentée par les réflexes d’appartenance confessionnelle et par les brutalités d’un état associé étroitement à une éthnie, les Alaouites, et à une famille, les Assad, aura raison de l’aspiration nationaliste, ou de ce qui en reste, dans la conscience collective des Syriens. Il n’est pas certain que cette aspiration, dénaturée comme elle l’a été par la dictature du Baas syrien, comme ce fut auparavant le cas en Irak avec le Baas de Saddam Hussein, puisse résister aux forces exogènes qui l’assiègent. L’atomisation du monde arabe, sa réduction à une juxtaposition de territoires sans cohérence politique, a été un objectif poursuivi par des cercles de pouvoir en Israël et aux Etats-Unis. En 1996, ceux qui allaient devenir connus sous l’appelation de « neocons » avaient théorisé cette approche dans un document qui est passé à la postérité sous le titre de « The Clean Break ». Dans ce document les « neocons » défendaient l’idée d’un changement de régime par la force en Irak, et celle de la déstabilisation de la Syrie. Ils envisageaient également l’éventualité d’un « nouveau découpage des frontières au Moyen-Orient, qui menacerait l’intégrité territoriale de la Syrie ».

Cette menace de dislocation de l’entité nationale syrienne est bien sûr au coeur de la préoccupation du régime de Damas, mais il n’est pas certain que sa réponse aux soulèvements qui se sont propagés de ville en ville dans le pays soit la meilleure manière d’y parer. Il est clair également qu’il reste peu de temps au président Assad pour échapper à la logique de répression qu’il a mise en toute, et qui accélère le processus d’atomisation du pays. 

The Clean Break

New York Times, The Lede


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