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S’initier à la cascade de glace dans le vallon de Bataillence en 2014

Publié le 15 juin 2011 par Lagela

Sollicité pour une tribune sur le blog, le guide de haute montagne, Rémi Thivel nous a transmis sa copie sous une forme originale : une fiction sur ce que pourrait devenir l’escalade de la Dorada, cascade de glace sur le Riou Nere, descendant de Bataillence. Ce site est situé à 20 mn de marche du parking du tunnel de Bielsa.

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5 janvier 2014. Nous sommes partis tôt pour échapper au déferlement de skieurs venus godiller sur les nouvelles pistes du domaine Bielsa-Piau, la station branchée du moment. C’était une mauvaise idée car le parking n’est pas encore ouvert. On aurait pu y penser, c’est déjà le cas depuis des années à Formigal qui ferme les routes d’accès en dehors des heures d’ouverture de la station, puis du début du printemps à la fin de l’automne.

Nous devons donc attendre 8h45 pour se garer à l’entrée nord du tunnel de Bielsa. 2.50 € de l’heure, tout de même, pour les véhicules venant de France, car nous sommes censés tous être skieurs de piste et partir en montagne depuis Piau, le parking du tunnel étant réservé aux véhicules venus d’Espagne.

Distribution du matériel de cascade aux participants, sous les quolibets des employés du parking qui souhaiteraient que nous quittions les lieux au plus vite car les glaciéristes font tache au milieu de ce décor dédié au ski industriel. Il faut aussi faire attention de ne pas se faire accrocher par les voitures rutilantes qui entrent en trombe avec leurs occupants pressés de rejoindre le stade de neige.

Nous remontons maintenant une large piste damée : les bulldozers ont bien bossé cet été dans ce verrou qui était trop étroit pour absorber un ratio suffisamment rentable de skieurs à la minute. Les premiers d’entre eux, caméra au casque, iPhone au bâton, se regardent déjà si bien skier, sur ce large boulevard aseptisé, s’amusant pour certains à slalomer entre les membres de notre groupe.

Au-dessus de nous, le télécabine dernière génération, que toutes les stations voisines envient, emporte les clients vers le restaurant d’altitude de Bataillence, d’où les plus zélés pourront emprunter le téléphérique du Garlitz afin d’accéder au nec le plus ultra : la zone free-ride.

Parvenus aux abords de notre cascade, La Dorada, nous devons pour accéder à la glace creuser à la pelle un passage sous les double filets de sécurité réputés infranchissables. Les réprimandes du chef des pistes, qui sort tout juste de sa nouvelle formation module managing-consulting-packaging-leadering, ne se font pas attendre. Il nous explique que les sentiers non battus de la vie sont dangereux et surtout réprimables par l’article Aramon-Conseil Général Haute Pyrénées n°18B1235T du nouveau code européen de la montagne.

S’initier à la cascade de glace dans le vallon de Bataillence en 2014

Photo Rémi Thivel

Estimons-nous heureux, il reste un peu plus de cinquante centimètres entre la cascade et les filets, assez tout de même pour ne pas accrocher ces derniers lorsque l’on balance le piolet derrière l’épaule avant d’ancrer. Par contre nos cordes s’y emmêlent régulièrement, ce qui est assez fâcheux.

S’initier à la cascade de glace dans le vallon de Bataillence en 2014

Photo Rémi Thivel

Les canons, installés jusqu’à 2700 m en prévision des prochains hivers secs, crachent leur neige artificielle, grâce à système novateur et labellisé d’acheminement de l’eau depuis La Cinqueta au pied des Posets. Pas de chance, l’un d’entre eux se trouve à quelques mètres de la cascade. Nous passerons la journée dans les embruns mais nous avons des masques et de bonnes capuches. Par contre, comme ce sont des canons à haut débit, ils sont bruyants et nous devons hurler pour communiquer. En professionnel consciencieux, j’ai prévu un talkie-walkie à oreillette pour chacun de mes clients lorsque je dois leur donner des consignes ou leur demander de me passer le saucisson à midi.

S’initier à la cascade de glace dans le vallon de Bataillence en 2014

Photo Rémi Thivel

Régulièrement, une moto-neige remonte la piste à fond de cale en dispersant ses odeurs de combustible, mais la vue éphémère des jolies poupées siliconées qui ornent généralement l’arrière de ces véhicules nous remonte temporairement le moral.

Sur le versant espagnol a commencé le ballet des hélicos venus de l’héliport d’Ainsa. Ils déposent chaque jour sur les crêtes de Bataillence des dignitaires du Gobierno de Aragon, des actionnaires d’Aramon, des traders d’Iber Caja et les nouveaux riches toujours plus nombreux symbolisant une Espagne moderne qui réussit. Il paraît qu’un forfait intéressant permet d’héliskier dans la journée à Cerler, Bielsa-Piau, Panticosa et Formigal, avec nuit offerte à l’hôtel Parador de Pineta-Mont Perdu (un secteur désormais classé en réserve intégrale, enfin protégé des alpinistes).

Heureusement, le vrombissement des rotors est un peu masqué par des enceintes installées le long des pistes qui distillent des spots publicitaires vantant les mérites du développement durable et des énergies vertes, alternés de quelques intermèdes musicaux.

Parfois, un skieur de randonnée de compétition, sûrement un nostalgique, remonte énergiquement les pistes. Il faut dire que depuis qu’ils ont installé un couloir de montée payant mais munis de cellules pour mesurer ses performances, mises en ligne sur internet en temps réel (y compris les temps intermédiaires !), ça vaut le coup.

Il faut rentrer, la station ferme et il est interdit de stationner sur le parking au-delà de 17h45. Heureusement, j’ai bien fait attention de ne pas égarer au milieu des broches et des crampons le ticket pour la caisse automatique mise à disposition par le groupe Vinci. Reconnaissons quand même qu’après avoir obtenu les autoroutes, c’est une fierté nationale que de voir cette entreprise française investir les parkings de haute montagne. Les élus locaux et le Conseil Général peuvent se réjouir des emplois ainsi créés.

Finalement, la prochaine fois, nous irons ailleurs pour découvrir l’escalade en glace. Ailleurs oui, c’est décidé. Mais où ? Peut-être sur la tour de glace artificielle de Toulouse ou de Bordeaux, car à ce rythme, bétonneurs, affairistes et élus en mal de bilan se seront bientôt appropriés toutes les Pyrénées.

Rémi Thivel
Guide de Haute Montagne

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