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Dossier spécial Carnets de Marina Tsvetaeva/3

Par Florence Trocmé

Le lecteur qui ouvre Les Carnets aura un regard sur l’insaisissable de ce présent toujours révolu et toujours à venir qui inclut son quotidien, sa poésie, ses rencontres, bref ce maintenant qui constitue l’événement inépuisable de sa présence au monde
(Luba Jurgenson, avant-propos, Les Carnets, Éditions des Syrtes, 2008)

Marina_plaquette
La publication des Carnets de Marina Tsvetaeva en français constitue un important événement éditorial.
Poezibao l’a déjà célébré au travers des deux premiers volets d’un dossier « spécial Carnets de Marina Tsvetaeva », l’un présentant le livre, ses sources, le second rendant compte d’un entretien avec Eveline Amoursky et Nadine Dubourvieux qui ont traduit Les Carnets, sous la direction de Luba Jurgenson, pour les éditions des Syrtes (attention, le livre paraît début mars).
Ce troisième volet est consacré à une note de lecture du livre (lecture faite sur épreuves).

L’unique lieu qui est le sien, le texte1
Une présentation de l’édition des Carnets de Marina Tsvétaïeva
Troisième volet, une note de lecture des Carnets

Ce n’est pas tout à fait par hasard que j’ai choisi de procéder dans cet ordre pour ce dossier et de faire précéder cette note de lecture par la présentation du très remarquable travail effectué par l’équipe de traduction et d’adaptation du livre. En effet, la lecture in extenso de ces Carnets s’est révélée parfois difficile et je vais tenter de dire pourquoi.
L’annonce de cette publication a suscité un vif intérêt chez moi. La personnalité de Marina Tsvetaeva est fascinante, sa destinée terrible, son œuvre immense. On a pu lire d’elle déjà de nombreux récits, notamment grâce à l’éditrice Clémence Hiver, mais aussi une partie de ses correspondances avec Pasternak, avec ses amies, avec Pasternak & Rilke (voir la bibliographie actualisée de Marina Tsvetaeva, pour tous les références, avec indication de tous les traducteurs et traductrices).
C’est donc avec enthousiasme que j’ai abordé cette lecture. Que j’ai choisi de faire, pour tenter de bien rendre compte de l’ensemble du livre, dans l’ordre chronologique, de la première à la dernière des 896 pages…..

Curieuse expérience de lecture où les points de vue contradictoires s’enchaîneront au fil du temps. Je vais tenter d’en sérier les difficultés et les joies.
- Les premiers carnets sont tenus alors que Marina Tsvetaeva a une vingtaine d’années, qu’elle est mère depuis trois mois. Ils sont constitués en très grande partie de ses émerveillements devant l’évolution de sa fille Alia, avec relevé très régulier de tous les bons mots de cette dernière. Le lecteur est décontenancé, voire agacé mais il trouve dès ce premier carnet, dans les marginalia, de très intéressants documents et une belle iconographie. Il faut préciser que chaque carnet, il y en a quinze en tous, est présenté sur une double page, photo du carnet, synthèse de son contenu et descriptif précis. En regard du carnet 2, voici par exemple un véritable petit dossier de plusieurs page consacré à la rencontre de Marina et d’Ossip Mandelstam….
A partir du troisième carnet, les notes de Marina Tsvetaeva mêlent de façon intime des réflexions, souvent très brèves, des notes autour de ses lectures et des allusions à sa vie familiale.
- Autre difficulté de la lecture, mais parfaitement compensée par les partis éditoriaux évoqués dans l’entretien avec les traductrices, une véritable valse de noms propres, tous ceux que Marina croise, ceux, vivants et morts auxquels elle s’adresse, ceux et celles qu’elle rencontre.
- Un troisième point peut susciter quelques difficultés, la relation des innombrables aventures amoureuses de Marina Tsvetaeva, qui trouvent leur écho dans ces pages, adresses à l’élu, fragments de lettres reçues ou écrites ou à écrire, etc. Mais ne s’agit-il pas ici dans « la frénésie des rencontres qui se succèdent, de traquer au sein même de la passion amoureuse, l’instant de la fin qui deviendra le point de départ de l’écriture, son lieu privilégie. Tout instant véritablement vécu – et dans Les Carnets ils le sont tous – tout instant investi d’être est toujours le dernier : Les Carnets sont un catalogue de pertes, un inventaire d’objets volés ou cassés, de livres vendus pour ne pas mourir de faim, de liens rompus, d’êtres chers disparus, de maisons détruites » (Luba Jurgenson, avant-propos).
Partout en revanche, des réflexions extraordinaires, la « traduction » de l’extraordinaire personnalité de Marina, telle que décrite toujours dans son avant propos par Luba Jurgenson, ce « "je" impérieux » qui se « fait entendre avec une intensité dévastatrice ». Et l’on comprend la suggestion de Nadine Dubourvieux, dans l’entretien : « prenez le livre au hasard et vous trouverez toujours une phrase qui va ouvrir en vous quelque chose d’étonnant ». Je peux attester de la justesse de cette préconisation pour avoir relevé nombre de phrases de longue, très longue portée, au fil de ma lecture…..
« Quand je pense à ma mort, je suis dans une profonde perplexité : où ira tout cet amour ? (Cahier 6, 1919), dit Marina ; en effet, dans ces carnets, elle déborde, d’amour, de vie, de vitalité, alors même que les circonstances extérieures sont de plus en plus éprouvantes. A cet égard les carnets de 1919 et de 1929 sont bouleversants, années terribles, de misère noire, où elle fait accepter ses deux petites filles dans un orphelinat dans l’espoir qu’elles seront un peu mieux nourries qu’à la maison et où la seconde va mourir à l’âge de trois ans.

On est émerveillé devant le travail effectué autour de ces carnets, tout ce jeu de photos, de textes, de notes qui loin de nuire au texte, lui donnent des échos, ouvrent des pistes, accompagnent le lecteur. Dans cette traversée parfois difficile, remuante, qui suscite une certaine ambivalence, on ne se sent pas abandonné et il faut en rendre grâce au trio des traductrices. Passionnées toutes les trois de Marina Tsvetaeva, ayant consacré une immense énergie, à la mesure de leur passion, à ses œuvres, elles ont eu à cœur de prendre le lecteur par la main. Le chemin qu’elles ont fait, elles, pour entrer dans le monde de Marina, elles le mettent au service de ce livre car elles sont parfaitement au fait de ce que Les Carnets peuvent susciter mais aussi apporter. Elles réussissent à les rendre abordables. Dans tous les sens du mot. Elles permettent au lecteur d’en retirer de très grandes richesses, littéraires et spirituelles.


[1] Luba Jurgenson, in Marina Tsvetaeva, Les Carnets, Éditions des Syrtes, parution mars 2008


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