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à propos de l'inoubliable

Par Larouge

14/06/2011 | Critique | Fiction


Parmi tous les écrivains argentins d’aujourd’hui, Eduardo Berti est sans doute l’héritier le plus fidèle de la tradition du fantastique et du texte bref issue des Borges, Bioy Casares et Cortázar. Érudit, malicieux, il joue d’ailleurs sans se cacher avec ces références prestigieuses et la mythologie qu’elles charrient, comme dans son roman Tous les Funes, bâti autour d’un chercheur nommé Jean-Yves Funès, spécialiste des personnages nommés Funes qui fleurissent chez Borges, Quiroga, Augusto Roa Bastos ou Bioy Casares... De même, les merveilleuses miniatures de La Vie impossible (une collection de micro-nouvelles sur des artistes bizarres, des livres rares et divers phénomènes fantastiques) n’étaient pas sans rappeler les « anecdotes » qu’adorait Borges . Rien d’étonnant, donc, si Eduardo Berti continue dans cette veine avec L’Inoubliable, douze nouvelles où éclatent de nouveau son imagination labyrinthique et son talent de conteur. Plus que dans le sillage de Borges (encore que nombre de thèmes du livre possèdent des résonances borgésiennes, comme l’obsession du savoir total ou l’éternel retour du même), c’est peut-être dans celui de Bioy Casares qu’il faut situer ces textes, à cause de leur décor populaire, de leurs personnages modestes et de leur narration directe, dans un style net et coulant. Ici, pas de métaphysiciens, de lettrés bibliophiles à la Borges ou de références littéraires ; Eduardo Berti propose certes des personnages de lecteurs compulsifs qui n’auraient pas déparé dansFictions, mais ce sont de simples lecteurs de quotidiens (« Journal d’une lectrice de journaux »), dont le goût pour les nouvelles fraîches se dérègle et qui finissent par vouloir lire la presse du jour en entier, croyant que ce qui n’est pas imprimé n’existe pas... Idée derrière laquelle on retrouve du reste un motif classique chez cet auteur - directement issu, pour le coup, des fictions borgésiennes -, celui de la différence entre le réel et son récit, entre le monde sensible et ce qu’on en dit. Ailleurs, Berti s’essaie brillamment à la nouvelle à chute (« La copie », sur la méprise et l’imitation en art), joue sur un mode policier avec le thème de la coïncidence (« Hugh Williams », sûrement le chef-d’oeuvre du recueil, où il met en scène une série de naufrages maritimes dont l’unique rescapé, étrangement, porte toujours le même nom, à des siècles de distance), retrouve dans « Formes d’oubli » sa vieille passion du tango (il y a consacré plusieurs documentaires télévisés) et manipule toutes sortes de motifs familiers pour les amateurs de fantastique et de nouvelles argentines - le même et l’autre, le cycle, la fatalité, etc. Difficile de résister au charme de ces inventions brèves où l’auteur montre qu’il est possible de perpétuer la tradition ou, ce qui revient au même, que celle-ci est inépuisable, en tout cas quand celui qui s’en empare est, comme ici, digne des grands maîtres.


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