Magazine Journal intime

Fête de la musique

Par Eric Mccomber
Tout a commencé à l'aurore par la bagarre quotidienne mettant aux prises merles et martinets d'un côté ; mouches et moustiques d'un autre ; et Modestine. Score à 6h du matin : Volatiles 2083 - Insectes 0 - Modestine 1.
Je démarre la cafetière. Je dévisse le groupe et je nettoie le filtre. Je tasse ensuite une bonne dose de ce cubain dont l'arôme me réveille parfois la nuit. J'attends que ça chauffe bien et je me tire un jus. Je sirote ensuite en travaillant. Je m'abandonne au soleil comme chaque matin, jusqu'à ce que l'astre passe derrière la cheminée du toit voisin et plonge enfin ma chambre dans l'ombre fraîche pour quelques heures.
Les potes me font signe vers dix heures et je descends les rejoindre au jardin. On refait le monde pendant un bon bout de temps. Sergio vient s'asseoir et Georges a le malheur de prononcer le mot Berlusconi. Ensuite, c'est un discours fleuve qui a raison d'Hervé et des quelques dames qui traînaient par là. Seul Henri se montre assez brave pour résister, lui qui propose toutes les cinq minutes qu'on parle plutôt du Clitoris, le grand négligé de nos conversations. C'est sans doute ce magnifique courage qui l'amène à nous convaincre d'aller faire un… tennis. Bon, j'avais pas touché à une raquette depuis à peu près 30 ans. Ce matin, c'est comme si j'avais été soumis à la question. Argh.
***
Ma délicieuse petite guitare française a presque un an. La semaine dernière, le bouton d'attache de la sangle s'est arraché du manche. Le pote Georges me l'a réparé hier (il sait tout faire). En réinstallant ma sangle, je me suis retrouvé avec tout le jack entre les doigts. Comme j'avais un gig, j'ai réparé au plus pressé. Puis hier soir pendant le concert, le préampli intégré au micro interne a tellement déconné que j'ai terminé le set complètement acoustique. Je vais fouiller dans mes paperasses, à tout les coups, la garantie se terminait il y a deux semaines.
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Personne pour me conduire à Anduze. Je change mes cordes et je me perds dans un machin que j'essaie d'emprunter à Mark Knopfler depuis trois semaines. Quand j'émerge de la brume (parce que mes mains brûlent et mes bras fatiguent), je suis presque à la bourre. J'embarque tout le matériel et cours presque jusqu'au Pont Neuf. Je traverse le Vidourle en tenant ma petite pancarte «ANDUZE». Je reste un bon bout de temps posté sous un arbre, près du stand de la maraîchère. Je meurs de soif. Je passe bien près de lui acheter une de ses bouteilles de rosé. Une voiture finit par m'embarquer. La passagère m'a déjà pris en stop la semaine dernière ! Incroyable. Elles sont deux jeunes femmes violemment sympathiques et me laissent juste là où il faut, à la sortie de Saint-Hippolyte-du-Fort.
J'y cuis sous une douche de rayons impitoyables jusqu'à l'arrivée d'une voiture très rapide qui s'arrête presque dramatiquement quelques mètres plus loin. Le chauffeur est guitariste de métal et nous causons musique tout au long, ce qui est très agréable, nonobstant le fait que plus il évoque ses solos plus il écrase l'accélérateur. Nous arrivons à destination vers la fin d'un morceau de Racer-X (du moins j'imagine que c'est à cela qu'il pense) et nous sommes miraculeusement encore en vie. Le mec est vraiment cool et je lui file ma carte. Je me dis que si je le bourre de bière et que je lui fais fumer deux joints tout en le forçant à s'en tenir à l'acoustique… euh… enfin, on prendra une bière, ça c'est sûr. Moi, amoureux de la lenteur…
Mauvaise surprise en arrivant. Comme ça m'arrive si fréquemment, j'ai été oublié dans le programme. On me place ici et là à la dernière minute. Tout de même, l'organisation assure. Chaque groupe joue en deux ou trois établissements différents. L'un de ceux-ci nous nourrit. Tout est prévu et bien rodé. Nous avons droit à quelques coupons de bière (bon, la prochaine fois je devrai spécifier qu'il m'en faut 20). Je débute au Café des Arts. Je suis précédé par un duo acoustique spécialisé dans le Piaf. La dame chante de manière impeccable. C'est super. Sauf que cette musique parle aux Français de manière si intime, si familiale… Enfin. Je passe tout de suite après, avec mon blues semi-électrique. Uhm… Je n'ai pas l'impression que ça intéresse grand monde. Je fais le truc réglementaire, 30 minutes. Je m'assieds ensuite pour écouter le groupe suivant, une bande d'excellents bossa-noveurs. C'est là qu'arrive Giulia, ma couchsurfette du jour, que j'hébergerai deux jours chez moi. Il est déjà l'heure. Nous transitons vers le Méli-Mélo, où il est prévu que je termine ma soirée.
Je connais ce resto, en fait, pour y avoir mangé quelques fois en excellente compagnie il y a de ça trois ans. Le patron hollandais est d'une grande gentillesse, ce qui est tout de même presque inusité dans la région (la patronne du premier bar n'a pas trouvé l'énergie suffisante pour me remercier d'avoir bossé chez elle gracieusement, par exemple) et le chef thai fait des merveilles. Lorsque j'arrive, il n'y a pas un tondu. La seule table occupée l'est par des membres de l'entourage du resto. Voyant cela, nous décidons que je mangerai avant de jouer, malgré que j'évite en général de chanter le ventre plein. Mais qu'à cela ne tienne. Le repas est délicieux et bien arrosé.
Toujours personne. Je décide alors de commencer en espérant que les badauds seront attirés par mon vacarme. En fait, quelques clients du premier bar arrivent à ce moment et s'installent. Je commence au bottleneck, assis, bas volume. Les tables se remplissent un tout petit peu. J'annonce que je fais la grève du La majeur. — Tant que la terrasse ne sera pas au moins à moitié pleine, je ne ferai que des morceaux en La.
Puis, sans m'en rendre compte, comme souvent, je file presque en rêve d'un morceau à l'autre. Au bout d'un moment, je déclare que je vais jouer des pièces en La transposé. Eh, eh. Puis, une bande de Deutsches arrive, dans la cinquantaine, tapant des mains, sifflants ; ils aiment CCR. Assez de monde, je décrète désormais un set en mi. Puis un autre en sol. Puis tout et n'importe nawak. Deux heures et demi se sont apparemment écoulées. Je fais une pause pinard.
Je remonte en scène (un prosaïque coin de la terrasse) rapidement, pour ne pas laisser le momentum s'effilocher. C'est là que ma gratte me lâche, en plein milieu de la première chanson. Bravo, pour le momentum. Alors, basta. Je débranche tout et je me rends aux tables pour sérénader une Otis Redding, une Marvin Gaye, une Wilson Pickett et une Dylan de derrière les fagots. Les Allemands annoncent leur départ imminent alors je décide de leur envoyer Proud Mary et de faire chanter tout le monde. J'y parviens presque, malgré que je scie par inadvertance le moral de deux clients, un couple de chauffeurs de taxis qui n'a ab-so-lu-ment pas envie de chanter rolling-rolling-rolling, surtout une fois que je le leur ai traduit par «rouler-rouler-rouler».
— On en a marre de rouler, dedjieu !
Je les achève au Guthrie. Hobo's lullaby. Ensuite, je me lance tout de suite dans une tournée des derniers résistants pour trouver quelqu'un qui rentre par Sauve. Un couple charmant m'offre Durfort, ce qui n'est pas mal. Je poursuis mes démarches. J'aborde les chauffeurs. L'homme se présente et sourit. Il me dit qu'il est Cévenol. Je lui demande s'il ne rentre pas vers mon village. Il m'offre un Jet. Je ris. Mais il est sérieux. Je précise qu'il n'y a pas de piste d'atterrissage près de chez moi. Il insiste pour le Jet. Le serveur nous apporte des verres bourrés d'un liquide vert baignant dans les glaçons. Bon. Giulia est appelée à se joindre à nous. Tout le monde prend pour acquis que c'est ma femme, à un point tel que la maison lui prend sa facture. Eh, eh.
Les Jets se suivent et se ressemblent. Les chauffeurs me proposent un marché. Si je leur chante un morceau en français, ils me conduisent chez moi. Hi, hi, hi. Ni une ni deux. Je préviens que c'est du joual et que c'est de moi. Je vais chercher la guitouille et je joue une de mes vieilles tounes (y en a pas, de nouvelles ; ça viendra peut-être). Encore des Jet. Et d'une autre table, des Mirabelles. Ouf.
***
Un couple de chauffeurs de taxis avec quelques Jets dans le nez, ça se prend la tête au sujet du meilleur trajet. Trop drôle. Je traduis à Giulia, qui est Italienne et parle un excellent anglais, mais bien peu de français. Elle rigole, mais je crois qu'elle s'inquiète peut-être un peu, aussi. Rien à craindre, le véhicule avance à une vitesse raisonnable, dans une maîtrise totale. C'est rare, dans le Gard. Après remerciements émus et adieux bruyants, nous montons dans les pierres anciennes de mon hameau millénaire. Je me souviens d'avoir gonflé un matelas et d'en avoir déroulé un autre. Les merles et les martinets commençaient à se réchauffer pour le match. Modestine faisait ses étirements dans un coin. Une vague lueur bleutée s'insinuait progressivement au dessus des collines. Les petits monstres piaillaient aux ultrasons. Ensuite, si je me fie à certains indices, encore tout habillé, j'ai posé mon derrière sur le lit et la planète a avancé de neuf heures absolument sans moi.
—————© Éric McComber

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